Le chef-d’œuvre unique de Charles Sprawson consacré à la « quête spirituelle de l’eau », à travers l’histoire et le monde.

Charles Sprawson est né à Karachi en 1941 et a appris à nager dans l’État de Nawanagar, dans l’ouest de l’Inde encore britannique, dans les caves inondées du palais d’un maharaja. Il s’ ensuite baigné dans la Méditerranée, à Benghazi, « non loin de l’antique cité grecque de Cyrène ». Tous ces bains de son enfance sont à l’origine de son unique passion, nager, à laquelle il a consacré son unique livre, paru en 1992, et salué d’emblée par la critique anglaise et américaine comme le plus beau livre écrit sur la nage, les plongeurs et les nageurs.

Déjà traduit en italien et en allemand, ce livre atteint enfin le public francophone dans une traduction de Guillaume Villeneuve. Cette somme d’érudition, qui propose un panorama complet de la discipline et entrelace l’histoire et la géographie (de la Grèce à la Polynésie), la littérature (d’Homère à Byron et Gide), l’histoire de la peinture et le sport, est mêlée de confidences autobiographiques de son auteur, nageur passionné qui traversa l’Hellespont, le détroit des Dardanelles, comme l’avait fait Byron, et avoue qu’il est allé nager partout où s’était baigné Tennessee Williams, notamment devant le Lido à Venise, et même dans la propriété de l’écrivain : « Cette sympathie m’a fait escalader la clôture branlante de sa maison abandonnée de Duncan Street, à Key West, pour nager dans la vase verte de sa piscine au milieu d’une jungle de plantes tropicales ».

 

Un livre pétri de culture classique

« Nabis sine cortice », « Tu nageras sans liège » : tel est l’avertissement donné par Horace dans ses Satires aux jeunes gens pour les prévenir qu’un jour ils devraient se débrouiller seuls. Le chapitre III, « Les eaux classiques », souligne bien la différence entre les Grecs et les Romains. Pour les premiers, l’eau est un élément magique. C’est ainsi qu’Achille fut trempé dans un fleuve pour devenir invulnérable. Craintifs, les Grecs ne bâtirent qu’une piscine, à Olympie. Les Romains au contraire développent les fontaines et les thermes et se moquent de Caligula qui ne sait pas nager. C’est le christianisme qui met fin, pour longtemps, à ce culte de l’eau : « Le conflit opposant l’Église à la natation naquit très tôt, quand un culte syrien du nom de "Maiouma" se diffusa dans presque tout le monde romain lors de son déclin. Il impliquait des évolutions de femmes nues dans des bassins ronds à l’air libre, devant de nombreux spectateurs installés sur des gradins de marbre s’élevant tout autour à la manière d’un théâtre grec. Leurs étranges tableaux érotiques furent condamnés par les clercs, tout comme les spectateurs "noyés dans un abîme de péché". La nage, comme le plaisir sexuel, en vint peu ou prou à être associée au diable et fut quasi censurée pendant la prévalence du christianisme sur l’Europe. Il fallut attendre le début du XIXe siècle pour qu’elle revienne à la mode. »

 

Une somme de références littéraires pour dire la joie de nager

C’est au XVIIIe siècle que Winkelmann redécouvre la beauté grecque et la définit ainsi : « Contemplation d’une eau calme, goût de l’eau la plus pure ». Avec la redécouverte de la culture antique, la nage se développe à nouveau. On observe les mouvements des grenouilles pour apprendre à nager. À Eton est créée en 1828 la première Swimming Society (Cercle de natation), inspirée par l’Antiquité. « Athènes » désignait le plongeoir dans la Tamise, et les nageurs se divisaient entre philolutes (amoureux du bain) et psychrolutes (baigneurs en eau froide). Leur devise était le premier vers des odes olympiques de Pindare : « L’eau est la meilleure des choses ». En Allemagne c’est Goethe qui répandit la pratique thérapeutique de la baignade en eau glacée. Pour les nageurs, l’eau est « un refuge face à la vie quotidienne, et la natation une expérience mystique, spirituelle ». Dans ces pages passionnantes et stimulantes, on se baigne aussi bien avec Johnny Weissmuller que Jack London (qui affirmait préférer gagner une course dans une piscine qu’écrire le grand roman américain), mais aussi avec Mishima ou Gide (à Gafsa, en Tunisie) ou encore avec Zelda Fitzgerald.

 

La saison est idéale pour découvrir ce livre culte et en faire le bréviaire de son été, en suivant les traces des grands auteurs : « Pour Paul Valéry, comme pour Shelley, Swinburne et Flaubert, nager était "une fornication avec l’onde", selon son expression. Son journal décrit des baignades dans la Méditerranée au large de Sète, lorsqu’il plonge dans l’eau tiède tout le jour. "Mon seul passetemps, mon seul divertissement était le plus pur de tous : nager. Il me semble que je me découvre et me reconnais quand je retourne à cet élément universel. Mon corps devient l’instrument direct de mon esprit, l’auteur de ses idées. Plonger dans l’eau, mouvoir tout son corps, des pieds à la tête, dans sa beauté sauvage et gracieuse, se tordre dans ses profondeurs pures, c’est pour moi un délice qui n’a d’égal que l’amour." »