Dans ce roman désenchanté, l’auteur fait le portrait des trentenaires d’aujourd’hui, soumis à la loi du marché : une satire d’un monde sans pitié.

Un tableau générationnel des intellectuels précaires

Marco, le héros de ce roman, a quitté l’Italie après son Master pour venir faire un Doctorat à l’université de Sorbonne City sur les animaux dans la littérature, dont le lecteur ne saura pas grand chose, à part quelques allusions à La Métamorphose de Kafka et au lapin d’Alice au pays des merveilles. Alors qu’il avait bénéficié d’un contrat doctoral, grâce à son directeur de thèse, il n’obtient pas le poste de maître de conférences qu’il espérait, ce qui donne lieu à quelques pages, qui n’évitent pas toujours la caricature, sur les arcanes de l’université et ses nombreux dysfonctionnements. Marco intègre donc la cohorte des intellectuels précaires, surdiplômés sans être adaptés au monde du travail, à qui on a fait croire que le Doctorat constitue un sésame, et qui sont condamnés à voir les portes se refermer devant eux. Ses tribulations à Sciences Mo ou son expérience des cours particuliers à Kenzo, dont la mère travaille chez Boréal et se révèle être une cougar encombrante, ses rendez-vous à Pôle Emploi ou à sa banque révèlent une société où chacun tente de tirer son épingle du jeu, sans valeurs, sans repères. Jean, le colocataire de Marco, après une école de commerce, attend un travail où il ne serait pas exploité, en jouant au poker en ligne, en fumant des joints devant BFM TV. La copine de Marco, Marie, abandonne finalement sa thèse pour monter une start-up écolo-responsable de vinyles. Elle l’entraîne aux manifestations de Jour couché, où il s’agit de s’allonger par terre sans mots d’ordre. Il préférerait passer, avec elle, la nuit dans un lit, mais la suit en essayant de tenir des propos à la hauteur.

 

Un roman à clefs et une satire de l’époque

Le lecteur reconnaît sans peine des grandes figures médiatiques derrière Catherine Mango, une romancière à succès des années 90 devenue vedette d’un talk show, ou Alphonse Sauerkraut, hué à Jour couché et hanté par les théories du grand remplacement. Ce roman à clefs se présente comme une satire de l’époque, une version moderne des Illusions perdues de Balzac, avec quelques morceaux de bravoure, comme la réécriture d’un passage célèbre de La Nausée de Sartre, l’ouverture d’un compte Airbnb pour louer les deux pièces de l’appartement à des touristes attirés aussi par le « Tour of freaky Paris by Jean » (100 €), où la préparation du CAPES à l’aide de pilules que Jean a trouvées pour Marco sur internet : « Mes difficultés de concentration avaient disparu. Je n’avais plus faim, plus soif, je n’avais plus de besoins corporels. Je comprenais tout plus vite, avec une évidence nouvelle, lumineuse. Je planais dans les hauteurs éthérées de l’esprit. De là-haut, le concours me paraissait une bagatelle. J’imaginais tout ce que j’aurais pu faire avec mon salaire de professeur. Louer un appart pour Marie et moi. Changer de téléphone portable. Acheter une voiture. Partir en vacances. Je serais bien à l’aise dans ma cage dorée. J’aurais voulu ne jamais redescendre de cet état second. »

 

On lit cette dénonciation du capitalisme mondialisé et ce portrait d’un loser avec plaisir, sans doute grâce à la construction du roman qui n’épargne pas le monde de l’édition et ses coups tordus, ni le fonctionnement des réseaux sociaux.