Une réédition du dernier livre, édité à titre posthume, de Kennedy... au miroir de nos enjeux politiques actuels.

Une nation d’immigrants (A nation of immigrants) est un texte qui remonte à 1958. Un opuscule de circonstance que le jeune sénateur John F. Kennedy produisit à l’invitation de l’Anti-Defamation League ? Bien plus, car cette chronologie précisément documentée du mouvement migratoire aux Etats-Unis est aussi un jalon du storytelling de la saga Kennedy en construction. Dans ce petit traité pro-immigration, le sénateur démocrate, issu de l’immigration irlandaise catholique par ses deux parents, mêle subtilement son histoire personnelle à l’histoire de son pays en préfigurant au passage son grand marqueur de la « nouvelle frontière » (« une nation composée d’individus ayant en mémoire de vieilles traditions mais qui osaient explorer de nouvelles frontières, des hommes désireux de créer une existence dans une société spacieuse qui ne limitait pas leur liberté de choix et d’action »).

Quelle est la méthode démonstrative ? Kennedy s’approprie les codes de l’Amérique, puis les modèle à des fins politiques, avant d’affirmer son ambition réformiste. Dans Profiles in courage (1956), il rendait déjà hommage aux institutions américaines, tout en déclarant qu’elles ne valent que par la grandeur des hommes de talent qui les animent. Il revient ici sur les étapes de la construction de la nation américaine (la générosité devant les miséricordieux symbolisée par la Statue de la Liberté versus la violence inhérente à la construction de la nation américaine avec les nativistes, le Ku Klux Klan …) pour mieux défendre une politique migratoire ouverte (« Nous devons éviter ce que le poète irlandais John Boyle O’Reilly appelait ‘La charité organisée, parcimonieuse et glacée/Au nom d’un Christ prudent et statisticien’. La politique d’immigration devrait être généreuse ; elle devrait être juste ; elle devrait être souple »). A l’époque, l’enjeu était d’abolir les quotas basés sur la nationalité, ce à quoi parviendra le successeur de Kennedy à la Maison Blanche, L. Johnson avec le Hart-Celler Act de 1965.

Ce texte court et rythmé vise juste. Il est clair que la politique migratoire est la clé de voûte de toute identité nationale : sur la question de l’entrée, du séjour et de l’intégration des étrangers ou de l’acquisition de la nationalité sont en jeu, à la fois, l’espoir d’individus en quête d’un refuge, les principes cardinaux d’hospitalité et de dignité, mais aussi la notion de frontière et la puissance d’un pays. C’est ce que souligne, dans sa belle préface, l’écrivain Laurent Gaudé, avec une formule que n’aurait pas renié Kennedy (ou sa plume Th. Sorensen) : « […] souvenons-nous de la puissance d’un pays lorsqu’il sait devenir un rêve pour ceux qui n’ont rien ». C’est dire aussi que ce document trouve une résonnance chez nous, quand on sait qu’un Français sur six compte un grand-parent étranger et que l’immigration, grâce à son jeu de transferts et d’échanges culturels, « fait notre importance et notre gloire » pour reprendre les mots de Fernand Braudel dans ses Ecrits sur l’histoire.

En cette période où l’Amérique se ment à elle-même (cf. le mur Trump anti-migrants à la frontière mexicaine), il y a lieu de méditer le message humaniste et optimiste d’un Kennedy en train de composer son destin