Tableau des différentes manières de traiter la géopolitique aujourd'hui, ce manuel éclaire des problématiques propres à cette matière, entre géographie et science politique.

En matière d’équivocité, la géopolitique tient le haut du pavé. Entre histoire et géographie, elle se voit victime de son succès médiatique et prête souvent le flanc à de nombreuses caricatures : conscience noire des chancelleries, les géopolitologues feraient les rois. Remettre les pendules à l’heure, c’est tout ce à quoi s’emploie Matthieu Alfré dans son manuel de géopolitique. Proposé sous forme de copies de type concours, l’auteur, armé d’un redoutable esprit de synthèse, s’est choisi cette contrainte pour aborder nombre de réflexions au gré de dissertations. Les différentes parties articulent autant de points de tensions, qui animent les débats contemporains, ce qui fait le principal mérite de cet ouvrage.

 

Géopolitique, géopolitiques ?

S’il existe autant de géopolitiques de géopoliticiens, d’écoles que de praticiens, les auteurs réputés classiques de la discipline, et que convoque l’ouvrage, ne s’en sont souvent jamais revendiqués. La géopolitique est-elle, selon le mot de Pascal Gauchon, l’étude des rapports de forces dans l’espace ? Ou « l’étude de l’Etat comme organisme géographique ou phénomène spatial » (Rudolf Kjellén) ? Ou encore une simple fiction, comme semble l’avouer Christopher Gogwilt ? S’il fallait retenir une définition, ce serait sans doute celle d’Yves Lacoste : la géopolitique analyse « tout ce qui concerne les rivalités de pouvoir ou d’influence sur des territoires et des populations qui vivent ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’ouvrage s’inspire et recommande des médias à haute teneur politique : Le Dessous des cartes, Les enjeux internationaux, Le Monde, ou encore The Economist.

 

Entre géo et politique

La place de la géopolitique dans l’enseignement supérieur et, plus généralement, de l’histoire des idées, n’est pas plus facile à déterminer. Comment justifier une particularité suffisante pour en faire une science en tant que telle, au regard des autres, davantage consacrées ? Le manuel convoque en effet des disciplines hétéroclites : histoire, géographie, économie, ethnologie ou encore sociologie. La géopolitique doit donc rendre raison de sa légitimité, quand bien même elle est inscrite aux concours auxquels le livre prépare.

En l’occurrence, le manuel tient la corde entre deux conceptions de la géopolitique : l’une française, l’autre anglo-saxonne. La première, voisine de la géographie, porte aux nues l’espace, tandis que la deuxième met la focale sur la puissance, ce qui la rapproche de la science politique.

Confrontée par essence au problème des frontières, la géopolitique se heurte bien à celui de ses propres limites, celles de sa définition. La géopolitique anglo-saxonne est-elle véritablement de la géopolitique, stricto sensu, et l’intérêt de ce courant de pensée n’est-il-pas précisément de dépasser l’espace, ou du moins l’espace traditionnel, pour esquisser une modélisation ? Ces questions, bien qu’elles ne soient pas frontalement affrontées, sous-tendent la méthodologie de l’ouvrage.

 

Rendre la géopolitique simple, sans la rendre simpliste

L’ouvrage de Matthieu Alfré prétend à la fois former le candidat aux concours à la géopolitique, mais aussi, en un sens, à la géopolitologie. L’une ne saurait se réduire à une pensée du monde en position de surplomb, et l’autre a en charge autre chose que la gestion opérationnelle des affaires extérieures. Ce manuel a le mérite de mettre en avant ces liens forts entre pensée théorique et pensée pratique, entre géopolitique et géopolitologie. Les différentes focales des dissertations sont autant de leçons sur la relation de cause à effet qui peut être démultipliée, les stratégies des différents acteurs nationaux et internationaux trouvant diverses traductions dans le temps.

En résumé, ces dissertations offrent, non seulement aux étudiants, mais à tout un chacun, une vision à la fois large et synthétique des enjeux contemporains de la géopolitique, sans pour autant verser dans l’inventaire à la Prévert, principal risque de l’exercice. Si les néophytes et les curieux y trouveront sans nul doute leur compte, les amateurs et bretteurs trouveront de quoi prendre position, et poursuivre leurs réflexions.