Une traversée dans l’histoire et la philosophie des mathématiques, au-delà du cliché du « savant fou ».

Dieu, les mathématiques, la folie, de Fouad Laroui, est un livre original qui s’ouvre sur une citation de Chesterton : « C’est la raison qui rend fou, pas l’imagination. Les mathématiciens et les joueurs d’échec sombrent dans la folie, le danger est dans la logique. » L’ouvrage de celui qui a obtenu en 2014 la médaille de la francophonie de l’Académie Française est le résultat de la demande d’un professeur du lycée Lyautey de Casablanca, demandant au jeune Fouad pourquoi certains grands mathématiciens sombrent dans la folie.

Dans cet essai de 270 pages, le romancier, docteur en sciences économiques, ingénieur des Ponts et Chaussées, journaliste à l’hebdomadaire Jeune Afrique, met en scène de manière passionnante des personnalités originales, à la destinée souvent tragique. Il décortique différentes formes de folies qui ont pu habiter de grands mathématiciens au travers les siècles : psychoses, phobies, névroses…

 

Trois formes de folie chez les « génies » des mathématiques

L’auteur aborde successivement trois formes de « folie des hommes » : se mesurer à Dieu (la quête de l’infini), être Dieu (l’équation du réel) et dépasser Dieu (au-delà du monde). Au travers de la structure logico-mathématique du monde et l’exploration d’autres univers, des mathématiciens rationnels ont été conduits à l’irrationnel.

Évoquant les travaux ou les destins de Pascal, Leibniz, Laplace, Maxwell, Lasserre ou Grothendieck, Fouad Laroui évoque les thèmes de l’incomplétude, la quête de sens et les limites de l’intelligibilité du monde par la logique ou le calcul. Pour autant, il salue également le rôle majeur des mathématiques dans l’entendement de notre environnement, à l’instar de Galilée pour qui la vie est une « vaine errance dans un obscur labyrinthe » pour quiconque ne comprend pas les mathématiques

 

Interrogations sur de bien démesurées quêtes

Pour amener le lecteur sur les différents chemins de traverse de la folie, Fouad Laroui montre comment la haute voltige intellectuelle est susceptible de créer ou renforcer les troubles liés à la folie. De l’énigme des « sept ponts de Königsberg » aux deux infinis d’Aristote, en passant par l’équation de l’infinitésimal ou la question au sacré inintelligible, l’auteur nous propose une revigorante et instructive promenade dans l’univers mathématique.

Citant Louis Pasteur (« Je dépose ma foi à l’entrée du laboratoire ») ou Averroès (« La vérité ne peut pas contredire la vérité »), l’écrivain montre bien les tensions entre les hommes que sont les mathématiciens et le rapport qu’ils peuvent entretenir avec leur savoir scientifique. Les passages sur Descartes, Faust, Cantor ou Perelman apparaissent particulièrement intéressants, en ce qu’ils permettent au lecteur non-spécialiste de saisir de manière limpide des enjeux scientifiques pointus, en les reliant à des questions métaphysiques ou spirituelles.

 

La pédagogie et l’éloge de la connaissance

Analyste de théorèmes, poète qui valorise le génie de la folie imaginative, philosophe questionnant la relation à la foi, Fouad Laroui invite par le biais de son récit à la fois à l’humilité et à l’exigence. La folie fait partie du monde et, pourvu qu’elle ne soit pas démesurée, elle peut même constituer un outil pour parvenir à atteindre la vérité. 

 

Quand on lui demande quel mathématicien il aurait souhaité être, l’auteur cite Poincaré « parce qu’il est totalement polyvalent ». Grâce à cet ouvrage, à la fois ludique, rigoureux et profond, la polyvalence des talents de Fouad Laroui permet au lecteur d’en apprendre beaucoup… tout en gardant sa raison.