Une approche juridique de l’affaire Samuel Schwartzbard qui renouvelle sa lecture sans apporter de nouveaux éléments sur son histoire.

En 1926, Samuel Schwartzbard, militant anarchiste juif, décide d’abattre en plein Paris Simon Petlioura, un des chefs nationalistes ukrainiens et instigateurs de pogromes, qui s’est réfugié en France après sa défaite en 1921. Ce nouvel ouvrage sur l’affaire Schwartzbard et l’assassinat de Simon Petlioura offre une approche intéressante. Rémy Bijaoui aborde en effet la question, non pas d’un point de vue historique, mais d’un point de vue juridique, obligeant à une lecture renouvelée des faits.

 

Un libertaire entre Paris et la Russie

Samuel Schwartzbard est né en 1886 en Russie dans la zone des confins, non loin de Smolensk. Apprenti boulanger, il se réfugie une première fois en France après 1905 pour fuir les pogromes. Il fréquente les milieux libertaires jusqu’en 1914.

Suivant la position d’un des principaux responsables anarchistes, Pierre Kropotkine, il se montre partisan de l’Union sacrée et de la défense de la France contre l’Allemagne impériale et s’engage dans la légion étrangère. Blessé dans la Somme, il retourne en Russie, où il participe un temps aux conflits en Ukraine, sans que l’auteur ne détermine réellement la nature de son engagement en Russie.

De retour en France, il reprend son métier jusqu’au jour où il apprend que Simon Petlioura est à Paris et décide de l’abattre, ce qu’il fait le 25 mai 1926. Petlioura est l’un des principaux chefs nationalistes qui a combattu en Ukraine contre l’Armée rouge entre 1917 et 1920.

 

Le procès reconstruit

Le livre croise plusieurs dimensions : historique, morale et juridique. Rémy Bijaoui déconstruit le procès. Si l’accusation cherche à y voir la « main » des soviets, la défense montre et arrive à convaincre la cour qu’il s’agit du procès des pogromes qui ont eu lieu en Ukraine entre 1917 et 1920. L’auteur croise alors les témoignages des uns et des autres pour remontrer les fils du procès et tenter d’établir la responsabilité de chacun, sans pouvoir conclure ni à la solitude de l’acteur ni à la responsabilité d’un tiers dans cet assassinat.

Cependant, l’auteur néglige quelques témoignages. Par exemple, tous les compagnons anarchistes de Schwartzbard, qui soit l’ont aidé, soit lui ont déconseillé de tuer Petlioura, comme May Picqueray ou Nikola Tchorbadieff, ne sont pas mentionnés. Il est vrai qu’ils se sont abstenus de participer au procès, mais ils étaient parfaitement au courant de l’intention de leur ami.

L’étude de la réaction de l’opinion est également intéressante. Elle montre comment procèdent de manière générale les ténors du barreau pour construire leur défense et bâtir leur plaidoirie. En ce sens, l’auteur explique comment Henri Torrès a procédé à un déplacement de responsabilité, ce qui a permis l’acquittement de Schwartzbard et, plus largement, a fait basculer l’opinion publique en sa faveur. Si la droite des années 1920 est demeurée hostile à Schwartzbard, avec des arguments reprenant les fondamentaux de l’antisémitisme, cette affaire est aux origines de la Ligue contre l’antisémitisme (la future LICRA).

 

D’un crime à l’autre

Dans une deuxième partie, l’auteur se penche sur l’antisémitisme en Ukraine et les pogromes pour tenter d’établir la responsabilité ou l’innocence de Petlioura. Les arguments historiques laissent dubitatif. Des Ukrainiens dirigés par Petlioura, voire Petlioura lui-même, ont commis des pogromes bien qu’il soit impossible d’établir la responsabilité directe de Petlioura.

L’auteur souligne, à la suite de publications historiques   sur les violences antisémites en Ukraine, que toutes les armées – armées blanches, armées rouges et partisans de Makhno, sans que ce dernier n’y soit mêlé – ont commis des pogromes. Pour autant, cela ne permet pas de minorer l’antisémitisme présent chez les hommes de Petlioura et chez leur dirigeant.

L’auteur aborde enfin d’un point de vue juridique la question de l’assassinat et du refus de faire justice soi-même, permettant de déplacer l’angle d’étude habituellement retenu à propos de cet épisode historique.

 

Sur le plan factuel, Le crime de Samuel Schwartzbard ne permet pas de faire avancer le dossier. En revanche, par les arguments utilisés, il en renouvelle l’approche.