Un essai qui vise à redonner ses lettres de noblesse au pastiche, genre à part entière et authentique pratique littéraire.

Soucieux de donner une légitimité à un genre longtemps décrié, Paul Aron publie, dans la nouvelle collection "Les littéraires" des PUF, une Histoire du pastiche. De l'âge classique au XXe siècle, l'auteur retrace l'évolution d'un genre mal défini et avant tout "mal considéré dans le monde des lettres". Dès l'introduction, Paul Aron tente de donner une définition tout aussi large que rigoureuse du pastiche. Englobant les sous-genres de la parodie et des "à la manière de", le pastiche est assimilé à une "imitation des qualités et des défauts propres à un auteur ou à un ensemble d'écrits". L'enjeu principal d'une histoire du pastiche consiste alors à donner ses lettres de noblesse à l'esthétique de l'imitatio, non pas comprise comme une vulgaire reprise mot à mot d'un texte (plagiat) mais comme une pratique savante, un jeu subtil de transpositions à visées multiples. La variété des pastiches étonne de prime abord le lecteur. De la parodie comme "imitation à visée comique d'un texte" au pastiche pédagogique, en passant par les usages politiques ou galants du genre imitatif, le panel des possibles apparaît illimité  

Revenons au point de départ de cette Histoire : la Renaissance et son esthétique de "l'innutrition". Le genre se trouve alors favorisé, "l'imitation [étant] le moyen privilégié de l'apprentissage de l'écriture". Comme le révèle Paul Aron, l'imitation équivaut à une réappropriation d'un texte canonique, ce que sous-entendent les célèbres propos de Montaigne : "Que nous sert-il d'avoir la panse pleine de viande, si elle ne se digère, si elle ne se transforme en nous ?" La métaphore culinaire se trouve toujours en arrière-plan, comme un rappel subtil de l'origine du mot pastiche, un pasticcio désignant en italien un pâté ou un mélange d'aliments. Plus largement, le pastiche est progressivement reconnu en tant que genre dès lors que l'emprunt aux Modernes est légitimé, voire fortement conseillé. Le XVIIe siècle permet ensuite une distinction des plus pertinentes entre pastiche et parodie, le pastiche se limitant à l'imitation du style d'un auteur. Paul Aron accorde une place importante à la forme parodique, notamment dans l'analyse qu'il propose des "suites littéraires". La parodie possède selon lui une dimension critique sans égal : "[elle] est une critique en action, et sa mission est identique à celle que les auteurs assignent aux Belles-Lettres, instruire et plaire, et donc faire acte utile et agréable à la fois." Du XVIIe au XVIIIe, le pastiche poursuit son bonhomme de chemin au point de devenir une "pratique professionnelle distinctive".

Le troisième chapitre de l'essai de Paul Aron est consacré à la pratique ("généralisée") du pastiche au XIXe siècle. Cette partie apparaît des plus pertinentes dans la mesure où l'auteur confronte la pratique du pastiche à l'avènement du romantisme. Au premier abord, le genre ne semble pas pouvoir se mouler dans ce renouveau culturel : "L'esthétique nouvelle de l'originalité tend à effacer les traces et les sources littéraires : l'oiseau romantique se doit de sortir tout formé de son nid." Le XIXe siècle s'avère pourtant fertile en matière de pastiches. Plus précisément, la fin du XVIIIe a permis l'institutionnalisation des droits d'auteur, ce qui finit de distinguer le pastiche d'un vulgaire "butinage"   . Dès lors, "c'est toute l'esthétique du larcin contrôlé et des jeux subtils de l'emprunt classique qui s'effondre". La loi punit le plagiat, légitime le pastiche, tandis que le genre se trouve apprécié non plus seulement pour ses vertus pédagogiques, mais aussi et surtout pour sa littérarité. De ces œuvres, la postérité n'a conservé que des parodies stricto sensu : des opéras comiques aux condensés burlesques publiés dans la presse (Le Tintamarre ou La Vie parisienne), les pastiches du XIXe siècle sont donc plus à proprement parler des caricatures. "Aimable rieuse", la parodie trouve dans la presse un relais efficace. Sans doute peut-on expliquer le succès contemporain de la parodie (Guignols de l'info, vidéos parodiques sur les sites de partage de vidéos ...) en revenant à ces pratiques du XIXe.

La dernière partie de l'ouvrage centrée sur le modèle proustien du "pastiche littéraire" est sans conteste la moins convaincante. L'auteur tente de saisir les aléas du genre au XXe siècle mais on peut déplorer certaines vues trop schématiques. À propos des surréalistes, Paul Aron explique qu'ils "se méfie[nt] de l'humour et du pastiche en particulier". L'énoncé n'est qu'une vérité partielle si l'on se réfère au Aragon des Yeux d'Elsa. Dans sa préface ("Arma virumque cano") le poète revendiquait l'imitation des Anciens (la poésie épique latine au premier rang) comme gage d'élection. Le pastiche n'a donc jamais été dénoncé par Aragon, et ce même au temps de ses premières salves poétiques. De même sur le mouvement OULIPO, Aron ne donne que quelques références aux textes de Queneau et de Perec, sans interroger les enjeux modernes du pastiche. Nulle trace d'oulipiens contemporains tels que Jacques Roubaud, Italo Calvino ou encore François Caradec. Nulle mention de pratiques libérées de "butinages" comme on en trouve dans l'œuvre toute récente d'Héléna Marienské (Rhésus, Le Degré suprême de la tendresse, sous-titré roman en pastiches). La quatrième section de cette Histoire du pastiche apparaît donc moins aboutie, l'auteur le reconnaissant lui-même : "Peut-être est-il permis de pronostiquer que le pastiche pourrait alimenter à nouveau la création littéraire ?" Cette Histoire du pastiche, fort rigoureuse dans l'examen des textes classiques et modernes, laisse donc une place à une étude plus ambitieuse sur des écritures imitatives contemporaines. 
 

* À lire également : une chronique sur le retour du pastiche, sur le site Biffures.org