Une analyse comparative, entre 1870 et 1918, de l’histoire des deux pays à travers la construction de leurs nations, leurs fonctionnements globaux et leur rivalité conflictuelle.

L'Histoire franco-allemande est une collection ambitieuse des Presses Universitaires du Septentrion qui a pour but de balayer l'histoire des espaces français et allemands, de 800 à nos jours. Une équipe d'historiens français et allemands, spécialistes de chaque période, a été recrutée dans cette optique avec des noms prestigieux comme Nicolas Beaupré, spécialiste de 14-18 et de ses conséquences, qui se charge du volume 8 (1918-1932 intitulé Le traumatisme de la Grande Guerre) ou encore Alyan Aglan, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et Johann Chapoutot, spécialiste du nazisme qui se chargeront, avec Jean-Michel Guieu, du volume 9 (intitulé La paix impossible ? De la crise à la catastrophe, 1932-1945, à paraître). Le point fort de cette collection, et le présent volume ne déroge pas à la règle, c'est l'approche comparatiste entre les deux pays qui n'est pas très fréquente en histoire, surtout entre deux nations majeures, qui plus est sur une si longue période.

Le septième volume de l'ambitieuse Histoire franco-allemande, intitulé rivalités et interdépendances (1870-1918) traite dans cette collection de la Première Guerre mondiale, mais surtout de ses prémices, de ces années depuis le début de la guerre franco-prussienne qui ont été, pour beaucoup, décisives dans le déclenchement de la Grande Guerre. Les deux jeunes historiennes, Mareike König   et Élise Julien   , fines spécialistes des deux pays étudiés, apportent dans ce volume un regard à la fois neuf et pédagogique sur cette période. Ce binôme d'auteur est d'ailleurs un point fort de l'ouvrage, écrit à quatre mains. Au fil de la lecture, on réalise la complémentarité entre les deux historiennes qui fait que chaque pays est vraiment traité à part égale.

Cet opus est divisé en deux parties. Il s'agit tout d'abord d'expliquer les grands repères chronologiques, sociaux, culturels et politiques dans les deux pays et dans un cadre mondial, puisque chaque nation est une puissance coloniale. Ensuite, la seconde partie, thématique, intitulée « Questions et débats », revient sur des points clés de l'histoire des deux pays sur cette période. Cette partie, très stimulante sur le plan historiographique, est celle qui apporte le regard le plus croisé et comparatiste entre les deux pays.

 

Une analyse fine de la vie de part et d'autre du Rhin de 1870 à 1918

Le livre s'ouvre sur une analyse de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Un rappel bien mené par les deux auteures qui font un vrai point sur celle-ci, ce qui est assez rare depuis les travaux de François Roth. En effet, dans l'histoire des rivalités entre les deux pays, 1870 est le parent pauvre et peu étudié par les historiens, face aux deux guerres mondiales qui, il est vrai, ont des conséquences beaucoup plus importantes que ce conflit. Néanmoins, comme le montrent König et Julien, son importance est capitale pour la suite des relations entre les deux pays. Cette guerre est étudiée dans le cadre des problématiques actuelles, notamment celle des expériences combattantes des soldats et des civils, à l'image de ce que font les historiens de la Grande Guerre aujourd'hui.

La sous-partie suivante, intitulée « Enjeux et ambitions », présente de façon classique les cadres politiques et la construction nationale en marche, de chaque côté du Rhin. Dans la partie « Contestations et dissensions », König et Julien analysent la construction des cadres sociaux, en montrant constamment les spécificités de chaque pays (Kulturkampf en Allemagne, laïcité en France par exemple) tout en essayant de voir les phénomènes sociaux similaires entre les deux nations (tels que les mouvements ouvriers).

L'histoire culturelle des deux pays n'est pas en reste : la naissance de la culture de masse est analysée de façon précise et montre que cette période marque le passage vers la modernité dans le domaine des médias, mais aussi du fait urbain, même si dans ce dernier cas, l'Allemagne est en avance sur la France.

Enfin, la dernière sous-partie, la plus importante quantitativement, est consacrée à la Première Guerre mondiale. Celle-ci est présentée avec une approche à la fois chronologique et thématique : les questions des causes de la guerre, puis les combattants au front, les civils à l'arrière, et, enfin, la victoire finale des alliés. Le tout est analysé de façon efficace, en mobilisant les travaux les plus récents.

 

De vraies questions historiographiques soulevées sur l'étude des deux pays

La deuxième partie de l'ouvrage, intitulée « questions et débats » permet de revenir sur des aspects spécifiques de cette période entre la France et l'Allemagne et de les approfondir en utilisant les acquis de la recherche historique.

Ainsi, cinq aspects sont brillamment éclairés de cette manière par Marike König et Élise Julien : la question de l'Alsace-Lorraine dans les relations entre les deux pays, l'antisémitisme de part et d'autre du Rhin, la question des Empires coloniaux, celle de la guerre totale et enfin « Tenir en guerre, au front et à l'arrière ».

Chacune de ses thématiques est présentée dans une perspective strictement comparatiste : il s'agit de voir exactement ce qui se passe de chaque côté du Rhin dans le cadre étudié. Ainsi, la question de l'antisémitisme permet de montrer au lecteur que, contrairement à ce qui va engendrer la pensée national-socialiste dans l'Entre-deux-guerres, l'Allemagne n'a pas l'apanage de celui-ci durant cette période « fin de siècle ». La mise en perspective de la « querelle berlinoise de l'antisémitisme » et de l'affaire Dreyfus révèle que dans ce contexte, les deux pays en sont au même point.

La guerre totale, étudiée à la voie interrogative est une très bonne mise au point sur la période, au prisme des différents conflits : 1870-1871, les guerres coloniales et la Première Guerre mondiale. Le travail sur les guerres coloniales allemandes est particulièrement intéressant. Il démontre clairement le racisme européen en matière coloniale à l’époque et le massacre de nombreux peuples africains comme les Maji-Maji entre 1905 et 1908. Et surtout ce que les historiens considèrent aujourd'hui comme le premier génocide de l'histoire : celui des Herero et des Nama entre 1904 et 1907. Quant à la Grande Guerre, Élise Julien fait le point sur les questions du consentement et des cultures de guerre, débats historiographiques qui agitèrent il y a quelques années la recherche sur ce conflit entre les tenants de l'Historial de Péronne et ceux du CRID 14-18.

 

Ce volume de l'Histoire franco-allemande paru aux Presses du Septentrion, intitulé Rivalités et interdépendances est à l'image de la collection : clair et efficace. Il offre une mise au point sur la période 1870-1918 entre la France et l'Allemagne en s'appuyant sur le travail intelligent de deux jeunes chercheuses. Il est surtout stimulant pour le lecteur par son approche comparatiste entre les deux puissances. Une belle réussite.