Après tant de livres sur la guerre de Cent ans, qu'apporte de neuf un tel ouvrage ? Pas grand chose.

Georges Minois a beaucoup écrit : des biographies - de Charles VII et Du Guesclin à Anne de Bretagne, Henri VIII et Galilée, et même La Rochefoucauld et Bossuet - sur la Bretagne aussi, et des "Que-Sais-je ?" sur l’enfer, le diable, etc. Sur la guerre de Cent ans, ("européenne", "totale", on en pourrait discuter...), d'où serait sorti "l'État moderne" (?), il nous offre aujourd'hui ce très gros livre à la mesure de la durée du conflit, à coup sûr. Les bons livres cependant ne manquaient point : sans remonter jusqu’à Coville (1902), ni même à l’irremplaçable - et remplacé - Perroy (1945), il y a eu depuis Leguai, Contamine (un simple "Que-sais-je ?" peut être parfois un petit chef-d’œuvre) et Favier et, en outre, par delà ces synthèses précieuses, tant de travaux sur l’Angleterre, la "France anglaise", la Normandie, la Bourgogne, etc.

À quoi bon, donc, cette nouvelle somme, après tant de devanciers prestigieux? Le "Minois" certes fera date, on ne manquera pas de s’y référer comme à un dictionnaire ou une encyclopédie, pour vérifier la date d’une bataille, les noms des combattants, des prisonniers et des morts, ou pour s’assurer de l’entourage de Jean le Bon   , de Richard II, de Bedford ou de Philippe le Bon. Et l’index "sélectif" (?) en fin de volume ne pourra que nous y aider.

Mais ce livre risque aussi de dater dans un tout autre sens. Il s’agit bien, en effet, de cette histoire que l’on dit "événementielle" (un peu injustement vilipendée peut-être), en tout cas dans les neuf premiers chapitres, véritables éphémérides dont, il faut bien le dire, la lecture est souvent fastidieuse. Après l’inévitable tableau initial des deux royaumes et l’exposé des "questions" de Flandre et de Guyenne (on pourra continuer à préférer les pages plus succinctes, mais autrement plus claires de Perrot ou de Contamine et surtout regretter que l’auteur ne montre pas assez combien tout cela remonte tout simplement aux Plantagenêt et à Philippe-Auguste), nous avons droit évidemment aux batailles de Crécy, Cocherel, Azincourt et autre Najera, aux traités de Brétigny, Troyes, Arras, sans parler des simples trèves. Les protagonistes ? Les rois de France et d’Angleterre (mais pourquoi diable cet agaçant "Edward" ?), Charles le Mauvais, et les "grands ducs d’Occident", et naturellement Du Guesclin et Jeanne… Mais de tous ceux-ci ont attendrait de vrais portraits "en pied", par exemple d’Edouard III (eh oui, sans w!) ou de Charles V. Or, nous n’avons droit qu’à des appréciations cursives, souvent discutables ou carrément injustes, sur Philippe de Valois   , sur Étienne Marcel ("impulsif et de peu de sens politique")   , sur Jean le Bon   . Au moins on trouvait cela, et souvent réussi, jadis dans nos vieux Lavisse !

En revanche, les trois derniers chapitres (9-12) proposent des synthèses thématiques sur les mutations économiques, sociales, politiques, militaires, culturelles : mais toutes relèvent-elles vraiment de la guerre ? Bien sûr, celle-ci a durablement affecté la démographie, mais la crise du revenu nobiliaire n’était-elle pas déjà inscrite bien avant dans l’évolution de la société féodale ? Et quelle part au juste faire à la guerre dans l’"atmosphère mentale" de ces "temps de douleur et d’affliction" dont se lamente Eustache Deschamps ? Il est permis de s’interroger aussi sur ces "opinions publiques" qui 's‘impatientent"(??? en 1337 ? des deux côtés de la Manche ?). N’importe : nourrie des innombrables travaux cités dans la bibliographie (pas tous, pourtant : Wolff et Mollat, Jacques d’Avout, Schnerb n’y figurent pas), ces derniers chapitres correspondent davantage à ce qu’on attend aujourd’hui d’un livre d’"histoire".

À force aussi de vouloir tout dire, certains développements nous promènent, non sans quelque désarroi   de la Bretagne à l’Aquitaine, de Paris ou de Bourges à la Bourgogne. Plus grave, quand l’auteur, avec raison, a recours à Froissart   , à Christine de Pisan   , ou au Journal du Bourgeois de Paris, pas de références précises. La bibliographie finale, enfin, est parfois entachée de défauts de classement : Eustache Deschamps entre Demurger et Gautier-Dalché, voilà qui vieillit injustement nos deux collègues ou rajeunit à l’excès l’auteur de "adieu printemps, adieu jeune saison…"

On s’étonne aussi que n’aient pas été mentionnés, moins encore utilisés, ni même cités, des travaux de l’importance de ceux de Wolff, Jacques d’Avout, Schnerb, Heers, Dubois, Fédou, etc. N’est-il pas abusif, pour le moins, de parler   d’"effacement de la civilisation médiévale" alors que Lorenzetti peint la fresque du Palais communal de Sienne, que Sluter culte le puits de Moïse à Champmol, que "fleurissent" (quel mot bien choisi!) à Florence les Ghiberti, Brunelleschi, Donatello, Masaccio et autres Fra Angelico et que vivent Pétrarque et Boccace ! Allons ! Et même en Angleterre, il y a je crois Chaucer, et Charles d’Orléans prisonnier !

Et puis tout de même on ne peut plus écrire aujourd’hui : "Philippe VI est contrarié"   ; "le ton monte en Aquitaine"   ; "Clisson ne veut pas être roulé dans la farine" (sic)   ; "l’empereur tergiverse"   ,etc. Vous y étiez, monsieur ? "La marquise sortit à cinq heures…", cela ne fonctionne déjà plus dans le roman, alors !

Tout cela est fâcheux tout de même pour un livre qui se veut définitif, et qui l’est d’ailleurs, dans ses limites : une chronique de guerre. De l’histoire ?… Mais si ; mais pas forcément celle que nous aimons et pratiquons. C’est tout.


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Crédit photo : Album de Céline / Flickr.com