Une politique d’immigration restrictive prive la France des effets bénéfiques qu’elle pourrait retirer d’une immigration qualifiée plus importante.

A un moment où l'immigration est devenue un sujet très polémique, l'aborder en mobilisant les outils de l’analyse économique permet de questionner certaines opinions ou positions en introduisant une rigueur dans le raisonnement et une attention aux effets significatifs. Ainsi, dans un petit opus du Cepremap, Repenser l’immigration en France. Un point de vue économique, Hillel Rapoport, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, explique qu’il existe plusieurs façons d’aborder la question de l’immigration sous l’angle économique.

La première façon, essentiellement statique ou court-termiste, s’interroge sur les effets de l’immigration sur les salaires et l’emploi des natifs, ou encore sur les comptes publics. Ces effets apparaissent alors, dans l’ensemble, plutôt modestes. Les effets de complémentarité entre travailleurs immigrés et natifs limitent les effets de substitution qui peuvent exister sur le marché du travail, de sorte que, tant les baisses de salaires que les augmentations du taux de chômage qui peuvent éventuellement en résulter, restent très limitées. De même, concernant les comptes publics, la surreprésentation des immigrés dans la population active vient elle contrebalancer l’éventuel surcoût qu’ils représentent pour certaines branches de la protection sociale.

 

Des effets bénéfiques pour la croissance à long terme

Une seconde façon d’aborder la question de l’immigration sous l’angle économique consiste à se placer cette fois plutôt dans une perspective de croissance à long terme. Ce qui peut conduire à examiner la contribution de l’immigration au freinage du vieillissement de la population et à l’équilibre de notre système de retraite et de protection sociale. On arrive alors à la conclusion que cette contribution ne peut être que partielle et transitoire. Mais on peut également s’intéresser, dans cette seconde perspective, à l’apport de l’immigration, et en particulier de l’immigration qualifiée, en termes de productivité et d’innovation.

Les résultats concernant ce dernier volet sont alors plus concluants que les précédents. Ils peuvent fournir des indications sur les meilleures politiques à mener. Les études disponibles montrent que la diversité liée aux lieux de naissance, amenée par l’immigration, contribue positivement aux revenus et à la productivité des pays riches. Elles vérifient ainsi l’hypothèse que l’on peut formuler sur le plan théorique que le fait de réunir des individus éduqués, qui ont grandi dans des contextes culturels différents, sont issus de systèmes scolaires distincts, etc., devrait produire des complémentarités productives, en particulier dans la réalisation de tâches complexes. D’autres études démontrent également l’apport positif de l’immigration qualifiée en matière d’innovation.

Enfin, on peut également démontrer les effets positifs de l’immigration – et là aussi en particulier de l’immigration qualifiée – en matière de développement du commerce et des investissements à l’étranger, du fait des liens créés entre les pays de départ et les pays d’accueil.

 

Les politiques d’immigration en France interdisent d’en tirer les bénéfices

Si l’on confronte maintenant ces résultats à la situation que connaît la France en matière d’immigration, une conclusion s’impose assez naturellement : à restreindre l’immigration comme nous le faisons, nous nous privons largement des bénéfices énoncés ci-dessus. La France accueille environ 200 000 immigrés par an, soit l’équivalent de 0,3 % de la population, dont une faible part d’immigration de travail. En termes de stock, la population immigrée est principalement issue d’un petit nombre de pays, et elle est majoritairement peu qualifiée (même si le niveau de qualification a progressé chez les nouveaux entrants). Ces caractéristiques contribuent, avec sa concentration géographique, à ce qu’elle soit moins bien perçue et moins bien tolérée par les opinions publiques. Ce qui pousse à des politiques d’immigration encore plus restrictives sur le plan quantitatif.

Cette situation, qui s’apparente à un cercle vicieux ou encore, pour adopter un langage d’économiste, une trappe de pauvreté, nous condamne à nous priver des bénéfices en termes de croissance à long terme que pourrait nous procurer une immigration qualifiée plus importante. « Il s’agit […] du produit de politiques d’immigration qui, en France, depuis quarante ans, ont fermé la porte à l’immigration de travail, ont été largement conçues dans la continuité de la décolonisation et ont participé d’un mouvement général de “recroquevillement” du pays sur lui-même »   .

Comment en sortir ? S’il semble difficile en l’état des opinions de favoriser une reprise de l’immigration de travail qualifiée, Hillel Rapoport note en conclusion qu’il existe une voie simple permettant de faire les premiers pas dans cette direction, cela d’une façon qui serait politiquement acceptable. La France accueille un grand nombre d’étudiants étrangers. Ces derniers sont autant d’immigrants potentiels, dont on pourrait favoriser l’installation (mais sans doute pas en augmentant leurs frais d’inscription). Et, qui sait, modifier ainsi les opinions et les positions en faveur d’une immigration quantitativement plus importante et, partant de là, d’une société plus ouverte aux autres et sur le monde. Un petit ouvrage stimulant.