La souffrance scolaire n'est pas une nouveauté : dès le Moyen Âge, on menace les élèves de les chasser de l'école s'ils n'apprennent pas. Mais le sens de cette menace est alors différent.
Une célèbre peinture, datée de 1394, décore une salle de classe médiévale, à Winchester. On y lit l'inscription suivante : « ou apprends, ou va-t-en ! ».
Il y a un jeu de mots en latin, qu'on perd à la traduction, puisque apprends se dit disce et va-t-en discede. C'est donc un calembour, un bon mot, une blague, probablement écrite pour faire rire les élèves. Mais qu'est-ce qu'elle nous dit ?
Des écoles au Moyen Âge ?
Contrairement à une image encore très répandue, une part non négligeable de la population médiévale reçoit une instruction, au moins de base. Au début du IXe siècle, Charlemagne a même tenté d'implanter un peu partout des écoles pour que tous les garçons puissent y accéder, dans l'idée de former des bons chrétiens, donc des bons sujets.
A partir du XIIe siècle, des écoles urbaines se développent un peu partout. C'est une époque d'essor intellectuel, qui va également voir l'apparition des universités. La bourgeoisie urbaine devient de plus en plus riche, et veut jouer un rôle actif dans la société : en Italie apparaissent de nouvelles formes politiques, dans les cités-États, et des nouvelles pratiques spirituelles, comme les ordres mendiants. Toute cette population comprend très bien l'importance de l'instruction, et envoie ses enfants à l'école, souvent gratuite ou très peu chère ; les filles y vont également. On y apprend au moins à lire et à écrire, souvent à compter, et si on est doué on peut enchaîner avec des études supérieures, dans une université ou, comme Dante, dans un studium, une sorte de collège tenu par les Mendiants.
Apprendre ou partir : la formule de l'échec scolaire ?
Revenons à notre peinture. Celle-ci semble renvoyer à une approche pédagogique radicalement opposée à la façon dont on conçoit l'éducation aujourd'hui : celle-ci est en effet obligatoire jusqu'à 16 ans en France. Autrement dit, aujourd'hui vous n'avez pas le choix entre apprendre ou partir : même si vous n'apprenez rien, vous êtes tenus de rester.
Mais en fait, on n'est pas loin avec cette formule de la façon dont fonctionne notre système : si vous apprenez, vous passez les niveaux, donc vous restez ; alors que sinon les portes se ferment petit à petit, au fil des mauvaises notes et des examens ratés. Bref, vous apprenez ou on vous dit de partir... On sait que ça mène à un système scolaire stressant, globalement peu efficace, qui reproduit les inégalités sociales. Bref, pas terrible. Apprendre ou partir : cela peut même revenir à dire que les élèves qui n'apprennent rien ne méritent pas leur place à l'école, et donc qu'il faut, via des examens et des sélections, écrémer le corps estudiantin à intervalles réguliers. Cette idée est dangereuse et nuisible à l'égalité des chances, qui est l'un des idéaux républicains les plus importants.
L'école, ça fait mal
Il y a une troisième partie à cette peinture, qui dit en fait : « apprends, va-t-en ou prends toi des coups ». Il faut l'entendre, évidemment, au sens propre : au Moyen Âge, les maîtres n'hésitent pas à jouer du bâton pour corriger un élève paresseux ou distrait.
Evidemment, plus de coups aujourd'hui dans l'éducation. Mais reste que l'alternative posée par le graffiti est au cœur de l'éducation telle que la vivent probablement la plupart des élèves aujourd'hui : sois tu apprends et tout va bien, sois tu pars et tu galères, soit tu t'accroches et tu souffres. On aimerait croire que la majorité des élèves vivent leur parcours scolaire sur le premier mode, mais je crains fort que ce ne soit en fait le troisième qui domine. La souffrance scolaire n'est pas qu'un mythe ni qu'un mot. Il faudrait vraiment inventer une école où personne ne se prendrait de coups.
Une éducation active
Mais on peut aussi entendre le message de cette peinture d'une autre façon : il donne un rôle actif à l'élève. C'est lui qui doit apprendre – autrement dit décider d'apprendre – ou choisir de partir – ce qui n'est pas présenté comme un échec.
La devise ne dit pas : apprends ou tu ne passeras pas en 5e, apprends ou tu n'auras pas ton bac, apprends ou tu n'auras jamais de travail. L'élève est en charge de son propre parcours d'apprentissage : à lui de décider s'il veut rester ou s'il préfère partir. Au-dessus du mot « apprends », il y a une mitre d'évêque, car à l'époque l’instruction mène souvent au clergé ; au-dessus du mot « va-t'en », il y a une épée et une plume, symboles de professions séculières. Autrement dit, quitter l'école n'est pas un échec qui condamne tout la vie : c'est simplement s'engager dans une autre voie.
Ce rôle actif de l'élève, c'est probablement le grand point commun de toutes les pédagogies alternatives contemporaines, de Freinet à Montessori. Cela ne revient pas, contrairement à ce que disent leurs détracteurs, à laisser tomber tous les cadres, mais au contraire à multiplier le nombre d'activités proposées, au sein même de la classe, afin de permettre à l'élève de choisir ce qu'il veut apprendre : pendant que certains lisent, d'autres écrivent, comptent, construisent, dessinent (pas que sur les tables). Comme si, devant chaque activité, on laissait le choix à l'élève : apprends ou pars, pas hors de l'école mais vers une autre activité, et tu reviendras vers la première plus tard. À l'arrivée, on a une école qui respecte davantage les rythmes, les goûts, les envies de chaque élève, et qui fait profiter l'ensemble de la classe de toutes les dynamiques individuelles. Personne ne part, et, surtout, personne ne prends de coups...
Pour en savoir plus
Philippe Meirieu, Célestin Freinet. Comment susciter le désir d'apprendre ?, PEMF, 2001.
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