Dans ce beau livre, le grand couturier des années 1980-1990 aux talents multiples illustre un des plus grands romans de la littérature française.

« La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat, que dans les dernières années du règne de Henri second. Ce Prince était galant, bien fait, et amoureux, quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n’en était pas moins violente, et il n’en donnait pas des témoignages moins éclatants. »

L’incipit du roman de Madame de La Fayette, publié sans nom d’auteur en 1678, chez Claude Barbin – qui fut aussi l’éditeur de Racine – met en place un univers brillant et fascinant, marqué par l’éclat et la passion, qui a tout pour séduire l’ancien couturier Christian Lacroix, aujourd’hui designer et scénographe, décorateur et costumier, illustrateur et plasticien. Cette histoire d’amour sublime et impossible entre la princesse de Clèves, mariée au prince de Clèves, et le duc de Nemours a particulièrement inspiré celui qui fut un couturier star des années 1980-1990, dont les vêtements fastueux et théâtraux trouvent un écho dans certaines gouaches particulièrement chatoyantes (parfois sur deux pages) et dans des collages superbes.

On pense parfois à Vélasquez ou à Picasso (celui qui aime représenter Don Quichotte). Inutile de chercher le visage de la princesse : sa silhouette est seulement esquissée, pour ne pas forcer l’imaginaire du lecteur.

 

L’art des contrastes

La dimension janséniste et très sobre de de l’œuvre, caractérisée par la litote, se marque par une utilisation particulièrement réussie du noir, comme dans l’illustration de la réaction du duc de Nemours au renoncement de l’héroïne, où une seule phrase occupe toute la page : « Quoi, madame, une pensée vaine et sans fondement vous empêchera de rendre heureux un homme que vous ne haïssez pas ? »

Le contraste avec l’illustration très colorée de la page d’en face, qui fait penser à Arcimboldo, est très vif et caractéristique du plaisir que l’on aura désormais à voir ce roman autant qu’à le lire dans cette édition magnifique, où les techniques se télescopent : papiers découpés, mais aussi lavis, encre ou aquarelle…

 

Un cadeau idéal pour résister

Depuis que Nicolas Sarkozy a avoué avoir « beaucoup souffert » en lisant ce roman et qualifié de sadiques ceux qui le faisaient figurer dans des programmes de concours, La Princesse de Clèves est devenue un symbole de résistance, et ce roman d’analyse, que l’on a pu considérer comme le premier roman moderne, est cette année encore au programme de l’ENS de Lyon.

Christian Lacroix l’a pour sa part découvert grâce à sa lecture de Raymond Radiguet à l’adolescence. Et c’est sa fascination pour Jean Cocteau, souvent présent à Arles, la ville natale du futur grand couturier, qui l’a conduit à lire Le Bal du comte d’Orgel, le second roman de Radiguet, publié en 1924, un an après la mort de son auteur, à vingt ans, et largement inspiré de La Princesse de Clèves.

L’aspect romanesque d’une telle rencontre littéraire est frappant et on peut former le vœu que la fascination pour le talent de Christian Lacroix apporte de nouveaux lecteurs au roman de Madame de La Fayette en cette période où il n’est pas interdit de mettre de beaux livres sous le sapin à l’usage des plus jeunes, qui les préféreront peut-être aux merveilles technologiques, parce qu’ils échappent à l’obsolescence programmée…