Un essai sur la place des femmes dans notre société qui, tout en contenant des réflexions intéressantes, n'échappe pas à la caricature.

Auteur, notamment, de Hommes, femmes : ni Mars ni Vénus (2006), d'Inventer son couple (2006), avant de collaborer, l'année dernière, à Femmes célèbres sur le divan, Sophie Cadalen est psychanalyste et écrivain. Une "double casquette" qui s'oppose dans son dernier ouvrage, Les femmes de pouvoir : c'est d'abord l'essayiste engagée, souvent démagogique, qui prend la plume. Puis lui succède une penseuse plus convaincante, bien que son style cherche avant tout à vulgariser des idées qui auraient gagné à être davantage structurées.

Étrangement construit, ce court essai (170 pages) est en effet dans un premier temps "digne" de figurer dans les pages d'un de ces nombreux magazines féminins qui inondent aujourd'hui le marché. Sophie Cadalen y apparaît plus comme une disciple de Tina Kiefer que de Mélanie Klein. 


Lieux communs, exagérations et erreurs historiques

Il y a d'abord la succession de lieux communs concernant le problème de la place des femmes dans notre société: ainsi, que ce soit clair une fois pour toute, la vie du "deuxième sexe" a radicalement changé avec l'avènement de la contraception, puis de la fécondation in vitro ; à notre époque, "intellectuellement, il est désormais admis que la supériorité innée des hommes sur les femmes n'est pas défendables"   ; "les études ne cessent de démontrer, ou de confirmer, que les filles sont performantes à l'école, qu'elles sont même plus appliquées que les garçons"   , etc.

Il y a ensuite les exagérations : les femmes politiques seraient "l'objet de craintes, de défiance et de reproches, dans des mesures et des excès que n'ont pas à subir leurs homologues masculins"   selon Sophie Cadalen qui devrait peut-être relire les commentaires qui ont accompagné ou accompagnent encore les mandats d'hommes au pouvoir comme Romano Prodi, José Luis Zapatero, Tony Blair et, bien sûr, Nicolas Sarkozy. L'auteur dénonce également "les magazines, la littérature "psy" [qui] tournent et retournent la question de l'identité de l'homme et de la femme. Les réponses sont alarmistes et accusatrices : nos identités sexuelles auraient été sacrifiées sur l'autel de cette révolution [des années 1970]"   . Il serait bon ici de rappeler qu'il y a certes quelques "penseurs" conservateurs, tel Éric Zemmour, qui ont cette opinion, mais que la démonstration s'arrête là : la plus grande partie d'entre eux est (heureusement) bien plus nuancée.

On peut remarquer, enfin, des erreurs historiques, dont l'affirmation visait en réalité à convaincre sans effort le lecteur. Il était pourtant aisé de vérifier qu'il n'a pas fallu attendre le troisième millénaire pour voir des femmes enfin accéder à des postes ordinairement réservés aux hommes (Edith Cresson, Premier ministre de la France en 1991), y compris dans des sociétés alors généralement peu "ouvertes" (Golda Meir, Premier ministre d'Israël en 1969, sans oublier Indira Gandhi ou Benazir Bhutto), contrairement à ce que Sophie Cadalen avance   . Il reste cependant indéniable qu'il ne s'agit pas, loin de là, de faits qui se sont généralisés, et il faut se réjouir que Michelle Bachelet et Cristina Kirchner aient récemment gagné les élections dans un continent souvent décrit comme machiste.

Longtemps donc, l'essayiste semble occupée à rassembler des arguments déjà avancés par certaines "féministes" dépassées, afin d'élaborer son analyse. 


"Tuer la Mère" toute-puissante

Mais la psychanalyste prend ensuite le dessus, et développe des points de vue à prendre en considération pour comprendre la situation des femmes et des hommes dans notre société.

Sophie Cadalen rappelle ainsi que le combat est à mener dès le plus jeune âge, les idées reçues, défavorables aux femmes, y perdurant encore fermement : "Même si une famille n'obéit pas à ces déterminismes, voilà que les enfants les rapportent de l'extérieur : les papas sont forts, les mamans sont gentilles, les papas travaillent beaucoup, les mamans font la cuisine"   . Elle cite également en exemple ces adolescentes décrites comme épanouies mais qui "dans l'intimité […] continuent à défendre leur moralité […] La jeune fille libérée – très présente dans la publicité – se sent facilement menacée, en réalité, d'un retour de bâton".  

Plus important encore, selon l'auteur, la nécessité, dans l'inconscient, de "tuer la Mère" toute-puissante   . Ce mythe a érigé en Loi la perception de la femme comme "Mère vouée à donner la vie, à se sacrifier pour elle"   . C'est, selon Sophie Cadalen, à propos de cette figure que Jacques Lacan a affirmé : "la Femme n'existe pas". Parce qu' "aucune mère ne l'est naturellement, aucune femme n'est assurément femme et puissante grâce à sa maternité, même si celle-ci participe à l'élaboration et à l'évolution de sa féminité"   , il faut donc que la maternité cesse d'être considérée comme "le phallus suprême" de la femme, ce "pouvoir écrasant" qui est aussi un "pouvoir de mort" (le choix de donner la vie ou pas).

Les effets de cette "tradition" sont immenses pour les hommes qui, avec les progrès de la science, en finissent par craindre "d'être un jours contestés comme pères. […] Non seulement la mère fait le père, mais elle peut de surcroît se passer de lui".  

Mais les conséquences sont tout aussi importantes pour les femmes : ainsi, "celles qui ne veulent pas être mères, qui  n'en éprouvent pas l'impérieuse nécessité, resteront exclues" ((p. 129). Surtout, ce n'est qu'en renonçant à ce pouvoir absolu que les femmes pourront plus facilement donner suite à ces envies qui ne concernent par leur rôle de mère : la "crainte de la réussite dit bien notre culpabilité à jouir hors de voies communes et convenables"   . Elles auront ainsi "la possibilité d'accéder à la jouissance du vide. Une jouissance [aujourd'hui] transgressive, et donc excitante".  

Sophie Cadalen termine son analyse en affirmant que "trop de femmes encore, revendiquent des qualités que les hommes n'ont pas pour faire valoir leur compétences. [Or] l'accession au pouvoir des femmes n'est pas à encourager sous la forme de preuves à faire sur l'autre sexe […] mais en tant que possibilité supplémentaire offerte à l'épanouissement des singularités, dont les expressions dépassent largement cette division sexuelle"   . Une division qu'elle semble malheureusement étayer au début de son essai, preuve que de tels réflexes nous concernent toutes et tous.