Le lauréat du prix Goncourt 2015 nous convie à une promenade plaisante dans la Venise des années 1750.

Dans cette commande de la Réunion des musées nationaux à l’occasion de l’exposition « Éblouissante Venise : Venise, les arts et l’Europe au XVIIIe siècle » au Grand-Palais, Mathias Enard, qu’on connaît surtout pour son roman Boussole et sa fascination pour l’Orient, nous entraîne à la suite du graveur Antonio dans la Sérénissime, ses piazze, ses ruelles, ses canaux et ses ospedali, écoles de musique où les jeunes orphelines apprennent le chant et où Antonio Vivaldi fait ses premiers pas comme professeur.

Il ne s’agit ici ni d’une analyse, ni d’un essai, mais bien d’une fiction. Le défi est de raconter une histoire où la littérature croise ses effets avec la peinture. Le résultat est très plaisant, à la fois pour l’intrigue et les personnages inventés par l’auteur (comme le peintre Maestro, amateur de musique et de poésie, qui symbolise bien ce dialogue entre les trois arts), et pour l’objet lui-même que l’on tient agréablement entre les mains, proche du livre de poche, par son format, et du beau livre par sa qualité : couverture cartonnée, belles reproductions sur papier glacé au début et à la fin, beau papier, police de caractères originale et signet bordeaux si on ne veut pas lire l’histoire d’une traite, mais s’attarder au fil de ses courts chapitres.

 

Désir amoureux et élan créateur

Dans l’atelier de son maître, l’apprenti graveur Antonio découvre Camilla, une orpheline musicienne et part à sa recherche dans la ville qui, plus qu’un cadre pour le roman, constitue un de ses personnages à part entière, avec la religion qui organise encore le temps pour tous, du carême au carnaval. L’art du romancier consiste à intégrer dans son histoire et dans cette quête des connaissances qu’il a acquises en lisant des ouvrages de référence, cités à la fin de l’ouvrage : Musique et musiciennes à Venise, histoire sociale des Ospedali (2015) de Caroline Giron-Panel et Venise au temps de Goldoni (1999) de Françoise Decroisette.

La qualité du style et de l’écriture se goûte à chaque page de ce petit roman qu’on lit avec plaisir au retour de l’exposition, comme pour arrêter le temps. « La musique faisait son chemin dans le cœur d’Antonio, baume et poison ; il était charmé par la vue de la musicienne, ses mains, ses bras, ses épaules qui se balançaient, son corps d’if, son visage illuminé ; il était hypnotisé par ses mouvements, l’amplitude régulière de la main droite, le vibrato des doigts de la main gauche ; il était ensorcelé par le timbre de la viole et la joyeuse virtuosité de Camilla, qui enchaînait les montées vertigineuses avec les ornements parfaits. » Un bel exercice littéraire d’évocation et d’admiration.