A la manière d'une enquête policière, la littérature révèle la solitude de l’auteur et du lecteur impliqués dans le puzzle littéraire.

Couronnant avec brio une trilogie consacrée aux rapports fascinants que la littérature (c’est-à-dire, pour l’essentiel, la fiction narrative) entretient avec la manipulation, la falsification langagière du réel ou de la vérité, le dernier opus de Maxime Decout se lit comme un roman policier   . Il offre à ses lecteurs une enquête menée tambour battant, où les indices sont donnés par les textes littéraires eux-mêmes. Quels textes ? Maxime Decout a le chic pour choisir les œuvres les plus retorses, les plus intéressantes. À cet égard, son essai se lit d’abord comme une invitation à découvrir ou redécouvrir La Lettre volée d’Edgar Poe, Le Meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie, La Disparition de Perec, Les Gommes de Robbe-Grillet, L’Emploi du temps de Butor, La Belle Hortense de Roubaud, Lolita de Nabokov, pour ne citer, excusez du peu, que les figures de proue de cette étude. Or tous ces textes ne seraient que des codicilles modernes ajoutés à la fiction des fictions, le fameux Œdipe roi de Sophocle, sacré roi des scénaristes : n’eut-il pas le premier l’idée géniale de faire de l’enquêteur l’assassin, d’identifier le détective et le criminel, de confondre le sujet et l’objet de la vérité ou de sa quête ? Mais Sophocle aurait fait mieux encore : il aurait trouvé la clé de ce discours pervers par excellence qu’est la littérature, à côté de laquelle la psychanalyse, voulant lui arracher son trophée, ferait pâle figure.

On comprend quel est l’enjeu du livre de Maxime Decout : l’enquête porte sur la littérature elle-même et sa valeur de vérité. Quelle confiance faire à cette vieille dame apparemment si respectable, si elle n’est qu’une empoisonneuse des âmes ruinant les assises stables de la vie sociale ? Si la littérature apprend que tuer et enquêter ne sont qu’une seule et même chose, que se laisser aller à ses pulsions méchantes et chercher la vérité ne se distinguent plus, quel crédit lui accorder ? Le discours littéraire et ses auteurs brouillent tout, confondent tout. Pire : s’ils prétendent ne pas le faire, le lecteur les prend en flagrant délit de mauvaise foi ou d’imposture. La première « faute » littéraire (son péché originel) serait donc son parti-pris décidé en faveur de l’immoralité ; mais sa deuxième faute serait de le nier, sans pouvoir s’empêcher néanmoins de le révéler. Car l’auteur-imposteur veut à la fois dissimuler son forfait et le faire connaître   : il a besoin d’un public, d’un confident, bref, d’un lecteur, qui serait à la fois sa dupe et son complice.

 

La littérature comme enquête

Puisque ce livre se présente comme une enquête, il faut donc, comme le disent si bien les jeunes gens à propos des interminables séries qu’ils avalent, spoiler la fin. Le lecteur de Maxime Decout s’était bien habitué à l’idée que l’auteur, le narrateur, voire le texte fussent les coupables : après tout, la littérature se présente d’abord et ingénument comme une enquête, c’est-à-dire comme une remise en ordre du réel après qu’un désordre quelconque a eu lieu, qu’une ignorance est constatée. La littérature enquête : elle dénonce les maux de ce monde et les fauteurs de trouble. Mais elle est aussi et surtout le discours qui fait de toute enquête une imposture. Pourquoi ? L’enquête fait croire qu’elle prendra fin. Au dénouement, la vérité sera révélée ; l’enquête sera donc bouclée ; or elle ne peut être que bâclée. Elle est partielle. Précaire. À reprendre. L’enquêteur pense et fait penser qu’une vérité irréfutable est à la portée des bons esprits ; mais ces soi-disant bons esprits sont en réalité de mauvaise foi : en présentant la vérité, ils se révèlent menteurs, joueurs, imbus d’eux-mêmes, tel Poirot paradant, au dernier chapitre, dans le salon mondain qui sert son ethos de bonimenteur. Truqueurs, arnaqueurs : ils jouent avec le feu. La vérité dont on pensait qu’ils la révéraient, voilà qu’ils la détournent, l’inquiètent, la déstabilisent. Ils n’y croient pas, plus, ou font semblant d’y croire. Le lecteur, lui, semblait au-dessus de tout soupçon : il faisait figure de victime idéale, étant celui qui se laisse manipuler, berner, par une littérature identifiée aux pouvoirs de l’imposture. Que la littérature apprenne au lecteur à se méfier d’elle-même et de lui-même, qu’elle le prenne à témoin dans le procès qu’elle intente contre elle-même et contre la crédulité, ce n’est après tout qu’une forme « d’honnêteté dans la duplicité ». Il n’y a pas là de quoi fouetter un chat. On comprendrait ainsi que le lecteur soit la victime consentante, complaisante, d’un tel procédé où la mauvaise foi se renverse en bonne foi. De quoi le lecteur est-il donc coupable, selon Maxime Decout ? De qui est-il l’assassin ?

Le livre de Maxime Decout a ceci de roboratif. Il invite à réévaluer la figure apparemment si sympathique, au-dessus de tout soupçon, du lecteur, pour qui et par qui roule le commerce des livres : ce lecteur que célèbre à raison l’esthétique de la réception serait une sorte d’auteur ou de narrateur frustré de ne pas en être. Herméneute suspicieux formé à la bonne école de la suspicion littéraire, il se retournerait contre son alma mater. Voyez-vous venir le fin mot de l’intrigue que Maxime Decout, maître du suspense intellectuel, a savamment tissée ? Le lecteur s’acharne à détruire les preuves que l’auteur ou le narrateur donnent de leur bonne foi. Devenant plus coupable parce que plus roublard qu’Œdipe lui-même, le lecteur est ce parricide et cet incestueux dont Freud n’a pas su décrire le complexe. Si la confrérie des personnages détectives, les Dupin, Holmes, Poirot, si les grands manipulateurs comme le Barbu d’Ankara, alias Perec, qui, avec le e, fait disparaître les noms Perec, père, mère, les pronoms je et elle, toutes les marques de féminin et toute la morphologie du présent, autant dire le langage dans ce qu’il a de plus délicieux, ou de plus gênant, si toute cette troupe de démons ne sont que des imposteurs, alors que dira-t-on du lecteur ?

À tous ces illusionnistes, ce dernier montre qui est le maître : leur imposture n’est que petite bière en comparaison de celle qu’il commet en toute impunité. Non pas lever ou arracher les masques, mais, dans ce « casse du siècle » ou des siècles littéraires, voler le livre, s’emparer du travail de l’écrivain, croquer les marrons que l’auteur ou son délégué, le narrateur, auront tirés du feu. Le livre de Maxime Decout raconte ainsi la terrible rivalité entre père et fils, entre l’auteur et le lecteur, pour savoir laquelle des deux instances a barre sur l’autre. Qui des deux jouira le mieux ou fera le mieux jouir dame Littérature, la mère, l’épouse intouchable ? C’est Œdipe en toutes lettres.

 

Le crime littéraire comme parricide

À Balbec, Charlus disait déjà de Marcel qu’il était une petite canaille, feignant d’adorer sa grand-mère et de ne pas comprendre les avances du vieil inverti. Autant dire que Charlus, la grande canaille, reconnaissait dans la petite canaille son double et son maître, puisque le premier avoue ce que le second dissimule. Le lecteur ferait encore pire : c’est lui (donc moi, donc vous) qui interprétez toute cette canaillerie, qui en chargeons les personnages, l’auteur, pour nous faire passer pour de grands justiciers. Maxime Decout n’est pas en reste. François Le Lionnais, recensant toutes « les configurations du roman policier selon l’identité d’un meurtrier x », aurait inventé « le schéma D » (comme Decout, qui est aussi… lyonnais), en ajoutant : « JAMAIS RÉALISÉ (à ma connaissance) / x : le lecteur) »   .

Maxime Decout a donc écrit la théorie dont pouvait rêver le maître oulipien, en faisant de la critique l’ouvroir de tous les crimes potentiels. Each man kills the thing he loves, écrivait Wilde, ce sauvage ; et Jeanne Moreau le chanta. Qui aime Maman ou la littérature finira bien par la tuer. Il convient de prendre cet énigmatique « schéma D » au sérieux en démêlant l’affaire : 1° s’il existe une littérature policière, c’est parce que toute littérature est en puissance policière, en enquêtant sur des désirs qui mènent au crime ; 2° mais cette police littéraire est perverse : elle prétend mener l’enquête et chercher la vérité quand elle ne fait que répandre le doute et la suspicion généralisée, pour mieux se disculper ou… s’accuser ; 3° si toute enquête (policière et littéraire) est une imposture qui appelle une contre-enquête   , celle-ci ne peut être que confiée au lecteur, qui tire toutes les ficelles. CQFD (et D comme Decout, bien sûr).

Dans l’avant-propos, l’auteur de ce polar critique met en place un premier « couple »   de notions : l’imposture et l’enquête, en indiquant d’emblée (mais en filigrane, et comme sans y toucher) le pot aux roses : « Mais après tout l’imposteur est-il beaucoup plus coupable que sa victime ? Lui est charlatan ; elle est crédule »   . La lecture littéraire transformera le crédule en charlatan supérieur, c’est là son pouvoir. Ainsi s’indique le projet du livre, et peut-être son parti pris : pour Maxime Decout, le thème de l’imposture est d’emblée capté par un dispositif métatextuel qui le rabat sur une interrogation sur le langage et la littérature. La critique glisse sur la portée existentielle de l’imposture : elle ne « procure que l’illusion d’être un autre »   , et cette illusion peut être une terrible souffrance, sur laquelle Maxime Decout passe un peu vite. L’imposteur souffre en effet d’un défaut d’être qu’il s’efforce de masquer en le contrefaisant. Si l’hypocrisie est l’hommage que le vice rend à la vertu, l’imposture est l’hommage (cynique ou désespéré) que le mal être rend au bien être, ce Souverain Bien illusoire ou non mais toujours désiré. Il arrive parfois que l’imposture ne soit que sentiment d’imposture, qu’imaginaire ou névrose ; et c’est encore pire, car si Tartuffe est imposteur, Gary, lui, ne l’est pas : il se sent imposteur, il croit l’être. La comédie (infligée aux autres et à soi) devient tragédie : c’est le suicide et non l’exempt qui dénoue l’affaire. Maxime Decout nous propose de penser l’imposture hors-le-tragique : il se fait l’exégète d’une imposture légère, allègre, que l’on aurait (presque) envie d’embrasser.

 

Lire à la trace

Le premier chapitre se place sous le signe de Carlo Ginzburg et de son fameux paradigme indiciel. Interpréter, c’est examiner des signes, comme autrefois le chasseur traquant sa proie. Ces signes sont ceux que le meurtrier laisse malgré lui ; ils sont comparables aux symptômes que le patient fabrique ou trahit, malgré lui ; ils sont enfin semblables à ces petits détails insignifiants (manière de peindre une main, un pied, un tissu) par lesquels le peintre signe sa toile, involontairement, et que pour cette raison le faussaire néglige, tandis que le critique, impavide, les reconnaît, permettant ainsi (mais un peu tard) de distinguer l’original et la copie. Que fait la littérature de ce paradigme indiciaire ? Veut-elle guérir comme le thérapeute freudien ? Mettre au jour la vérité comme le détective ou le critique d’art aguerri ?

Maxime Decout la décrit comme un jeu qui tourne mal pour celui qui s’y livre. Bartlebooth (alias Perec, dans La Vie mode d’emploi) fabrique un puzzle (un système de signes qui s’articulent les uns aux autres), pour mieux intriguer (anglais : to puzzle) celui à qui le jeu est dédié, il fait disparaître les toiles qui ont servi de modèle, comme si l’artefact pouvait abolir le monde d’où il tire son origine. Mais à la fin du jeu, la dernière pièce ne s’emboîte pas et le puzzle, au lieu de s’achever, échoue   . La littérature est à l’image de ce système qui, se voulant trop parfait, est condamné à l’imperfection. L’artiste, le bien nommé, de Giono, dans Les Grands Chemins, Gaspard Winkler, dans Le Condottière, de Perec, les joueurs d’échecs de Zweig et de Nabokov sont aussi de la partie. La littérature met en scène des tricheurs, des faussaires qui, prenant les signes pour le monde, apparaissent comme des doubles plus ou moins habiles de l’écrivain. À quoi tout cela rime-t-il ? Deux réponses s’offrent à nous : soit le monde est aussi inconsistant qu’un jeu, qui en tient lieu aisément ; soit, au contraire, le monde est trop consistant pour ces grands fragiles qui, à défaut d’exister pleinement, se sentent des imposteurs. Quoi qu’il en soit, entre le monde et sa représentation, le contrat millénaire (nommé mimesis) se brouille.

 

D’un détective à l’autre

Le chapitre II se consacre à la figure du détective : cet amateur parvient à doubler le policier professionnel sur son terrain. Qu’il invoque l’irrationnel de l’intuition (la psychologie pénétrante de qui sait se mettre à la place de l’assassin) ou l’hyper-rationalité de la déduction, le détective n’en reste pas moins imposteur : sous couvert de servir la vérité et l’ordre social, c’est son égotisme qu’il satisfait. Il jubile de remporter à tout coup une victoire herméneutique sur ses rivaux (les policiers déconfits) et surtout sur le lecteur, qui n’a vu que du feu. Le lecteur ne sera-t-il pas tenté de reprendre l’enquête ? Ainsi en faisant jouer la lettre d (tiens, tiens…), Jean-Claude Milner insinue que, dans La Lettre volée, le ministre D… et Dupin pourraient bien être des frères, voire des frères jumeaux.

Faut-il aller chercher de surcroît le d de Derrida et de déconstruction ? Peut-être, puisque les intrigues policières de Perec, de Borges (Le Jardin aux sentiers qui bifurquent, La Mort et la Boussole), des nouveaux romanciers (Les Gommes, Le Voyeur, L’Emploi du temps) ou d’Auster (Revenants) se plaisent à raconter des quêtes de vérités qui tournent court, qui tournent mal, qui tournent en rond : quelque chose cloche dans le royaume de l’herméneutique. Là où était l’interprète, l’écrivain advient, qui bousille en douce le système, peut-être pour s’en rendre le maître.

Œdipe encore ? Imposteur, assurément. C’est en tout cas parce que la littérature constitue un discours double (qui se construit, se déconstruit, se laisse reconstruire, à nouveaux frais), parce qu’elle plaide coupable pour mieux se disculper, ou inversement, qu’elle peut regarder de haut sa jeune rivale, la psychanalyse. Dans le différend qui oppose certains écrivains (Svevo, Nabokov) et Freud, Maxime Decout prend parti… contre le second ; sans trop s’attarder sur la question un peu vaine des préséances (qui de l’écrivain ou du thérapeute sera le meilleur analyste des boîtes noires qui font agir l’être humain contre son gré ?), il donne l’avantage à une fiction qui se sait fiction, à une imposture qui s’admet telle, ce qui sous-entend que la psychanalyse serait une imposture, une fiction. C’est le moment polémique de l’essai.

 

Le roman, coupable innocent

Les chapitres suivants, « Les Mots imposteurs » et « La Règle du jeu », reprennent l’antique accusation proférée contre les mots, qui se font les véhicules neutres et impavides du mensonge aussi bien que de la vérité, du vice comme de la vertu : la règle du jeu d’un jeu qui se joue avec les mots est donc que tout est douteux. D’où la question du chapitre suivant, le sixième et le dernier : « La littérature est-elle coupable ? » La réponse tend d’abord vers le non : la littérature permet d’assouvir par procuration toutes sortes de délits ; or rêver délicieusement de faire le mal n’est pas faire le mal   . Il se pourrait même que l’immoralité joueuse de la littérature fût pour l’ordre et la paix sociale un meilleur rempart que les invocations ou imprécations vertueuses. Mais c’est avec James et sa fameuse image dans le tapis (de mots) que se révèle l’enjeu du livre de Maxime Decout : la littérature est bel et bien coupable, parce qu’elle fait désirer l’existence d’un secret (qui ne serait pas seulement une promesse, une virtualité, mais une forme pleine, un secret qui aurait un contenu, un sens) sans pouvoir jamais garantir que ce secret soit autre chose qu’un leurre, qu’un attrape-nigaud.

Si le lecteur voit l’image dans le tapis, l’auteur perd la partie : car il n’a pas assez protégé son secret. S’il ne la trouve pas, l’auteur la perd encore, parce qu’il a trop bien dissimulé son trésor et que ce dernier n’est plus décelable ; et si enfin elle n’y était pas, l’auteur perdrait encore, parce qu’il n’aurait été qu’un tricheur, qu’un imposteur. Faut-il en rester là et décider que l’indécidabilité est l’ultima ratio du discours littéraire, que l’on accepte ou non de baptiser imposture cette indécidabilité, que l’on accepte ou non qu’elle soit une vertu heuristique ?

Ce n’est sans doute pas la seule voie[n1] . Choisissons de suivre Maxime Decout dans ce qui reste pour nous l’une des plus belles pages de cet essai qui n’en manque pourtant pas. À la page 157, Maxime Decout abat un bel atout : le nom idiotie, que nous associons tous à l’œuvre philosophique de Clément Rosset. Pour ce dernier, la tautologie (a est a et ne peut pas être autre chose que a) définit le réel et son idiotie ontologique. Toute intoxication de l’esprit se définit par le refus de la tautologie et consiste à trouver des parades, des subterfuges, des mécanismes de défense, pour aller contre cette vérité-évidence qui s’indique d’elle-même comme idiote. L’autre pan de cette philosophie se nomme le hasard : le réel est idiot car il n’a pas de sens. Or, en littérature, « hasard et idiotie n’ont plus leur place » affirme Maxime Decout   . La littérature serait ainsi une posture de l’entre-deux : ni discours de la vérité unique, ni discours de la vérité absente, elle serait le discours de la vérité plurielle, intermittente, relative ; elle nous ferait accéder à une vérité furet, sans évidence, que les uns voient et que les autres manquent, qui échoit aux uns et échappe aux autres. Le croyant est sans doute l’homme qui se réjouit de l’existence du sens ; le tragique est l’homme qui se réjouit de l’existence du non-sens ; et le joueur est l’homme qui s’amuse de la pluralité des sens et des mondes, entre lesquels il y a du jeu et donc du choix. Manifestement, Maxime Decout est beau joueur : et la littérature est un jeu qui lui convient. Comment lui donner tort ?

Reste à trouver le lien entre l’imposture et cette défense assez raisonnable (quoique enjouée) de la littérature comme jeu. Même si Maxime Decout ne le dit pas en ces termes, il invite à penser qu’on peut définir comme imposteur l’homme qui se sait, qui se veut ou simplement se sent seul. Personne n’est là pour l’assurer qu’il a ce qu’il croit ne pas avoir (du charme, de l’intérêt, de la singularité). Personne ne parvient à le convaincre qu’il est ce qu’il craint de n’être pas : quelqu’un, par bien des aspects, d’assez souvent aimable. L’imposteur est tout simplement celui qui a peur de ne pas être aimé. Ou pas assez. Et fait tout pour que cela ne se voie pas mais se devine. Or Perec le dit, à sa manière : le puzzle, « en dépit des apparences, n’est pas un jeu solitaire »   . La littérature non plus. Quand on fait un puzzle, quand on lit ou écrit un livre (ce qui revient peu ou prou au même), on se croit seul et on ne l’est pas : il y a quelqu’un qui travaille pour vous, avec vous, qui vous cherche, qui vous parle, qui vous aime ou vous désire, veut vous séduire ou vous intéresser. Appelons imposture cette pseudo solitude de l’auteur et du lecteur impliqués dans le puzzle littéraire : ni présence pleine, ni absence totale, mais relation virtuelle qui fait buissonner les significations et travailler l’esprit sur des possibles, des hypothèses, parfois invérifiables et parfois bien attestées par le monde où nous vivons. Entre la solitude et la bonne compagnie, posons que la littérature vaut comme ersatz de la seconde, qu’on peut aussi appeler l’amour. Mais c’est une imposture bien agréable à pratiquer, somme toute.