La Fondation Giacometti ouvre ses portes: jusqu'au 16 Septembre à Paris, il propose de visiter l'atelier de l'artiste à travers le regard de Jean Genet.

Simone de Beauvoir écrivait le 5 Novembre 1947 à Nelson Algren à propos d’Alberto Giacometti : « Hier j'ai visité sa maison, elle est à faire peur. Dans un charmant petit jardin oublié, il a un atelier submergé de plâtre, et il vit à côté dans une sorte de hangar, vaste et froid, dépourvu de meubles comme de provisions, des murs nus et un plafond. Comme il y a des trous dans le plafond, il a disposé sur le plancher, pour recueillir la pluie, des pots et des boîtes eux-mêmes percés ! Il s'acharne des quinze heures de suite, surtout la nuit, et il ne sort jamais sans que ses vêtements, ses mains et sa riche et crasseuse chevelure ne soient couverts de plâtre. »

On retrouve la même pervasivité des éléments dans La cage (1949-50), une des œuvres exposées ces jours-ci à la Fondation Giacometti (Paris 14e) qui, sous la direction de Catherine Grenier, inaugure son activité de conservation, de recherche et de publication. A ce jour, la Fondation possède ainsi la plus importante collection d'œuvres de l'artiste. A deux pas du 46, rue Hyppolite-Maindron où Giacometti travailla sans cesse pendant quarante ans (1927-1966), cet hôtel particulier exquis, bâti en 1912-14, restauré par Pierre-Antoine Gatier et aménagé par Pascal Grasso, héberge une reconstitution de l'atelier de l'artiste saisi à l'instant de sa mort : une bouteille de térébenthine, huit spatules, plusieurs tubes de couleur, des pinceaux de différentes formes, des petits bustes amorcés, une bouteille d'encre, deux paires de lunettes, des cuves, cinq livres de chevet, un réveil.

Pour reprendre les mots du prix Nobel de littérature Joseph Brodsky à propos de la cellule de prison où, par paradoxe, il trouvait une forme profonde sa liberté : ce qui impressionne dans cette atmosphère est l'écart entre la dimension spatiale, si avare, et la dimension temporelle, qui semble tournée vers l'éternel, « le règne extérieur du télescope ou des prières. »

Pour la première fois le public français peut s'approcher des Femmes de Venise, à propos desquelles Jean Genet écrivait en 1957: « C'est l'œuvre qui me rend notre univers encore plus insupportable, tant il semble que cet artiste ait su écarter ce qui gênait son regard pour découvrir ce qui restera de l'homme quand les faux-semblants seront enlevés. »

Faisant écho au long dialogue entretenu par le dramaturge et le sculpteur, la Fondation consacre sa première exposition à une découverte de l’atelier de Giacometti à travers le regard que portait sur lui Jean Genet, et auquel il a consacré un livre éponyme (L'Atelier de Giacometti, 1963). Cet ouvrage polymorphe, qui croise mise en scène, photographies, esquisses, autobiographie, est né des longues séances au cours desquelles Giacometti réalisa deux des portraits dédiés à son ami. L’un d’entre eux est d’ailleurs visible dans l’exposition, au côté du manuscrit des pages de Genet et de la maquette originale du Balcon.

Les vitraux art déco projettent leur exotisme végétal sur la blancheur religieuse des intérieurs. Ils résonnent avec les propos de Michel Leiris qui écrivit en 1972, lorsqu’il fut chargé de démanteler les couches sédimentaires de l'atelier de son ami et dut en réouvrir les portes. Leiris fut alors saisi par la présence que cette coquille gardait en son sein, par la chaîne nécessaire qui liait « Diogène à son tonneau ». Derrière des tas de plâtres, de bois, des toiles, il décela un des graffitis que le visiteur peut encore voir, sur les murs de l'atelier, des masques griffés, des bustes hurlants. Les uns et les autres renvoient au rapport que Giacometti entretenait avec l’œuvre de Bacon, qui est lui-même l’objet d’une exposition à la Fondation Beyeler.

Ce que Leiris perçut aussi, en rouvrant l’atelier, ce fût une barque à peine esquissée, un précaire radeau, avec une de ces petites figurines éloignées dans laquelle il crut reconnaître, sans doute, son ami chéri.

 

 

A voir à l’Institut Giacometti, 5 rue Victor Schoelcher, 75014 Paris.

(Réservation en ligne obligatoire)

 

A lire :

Thomas Augais, Giacometti et les écrivains. L'atelier infini, 2017 (prix Madame Victor Noury, 2018).