Alors que la vidéosurveillance n'a jamais été aussi présente dans nos rues, le sociologue Laurent Mucchielli revient sur son (in)efficacité.

Environ 1,5 million de caméras de vidéosurveillance filmeraient des endroits publics en France, dont 150 000 exclusivement la voie publique. En dépit de leur nombre, la pertinence de ces dispositifs est extrêmement peu interrogée dans l'espace public : celle-ci semble même, dans la bouche d'un certain nombre de politiques et d'éditorialistes, tenir de la plus simple évidence.

C'est ce manque de questionnement qui a contraint Laurent Mucchielli, qui tente dans ce livre de nous donner les moyens de mieux penser ce sujet, à s'appuyer sur des rapports parcellaires pour tenter d'estimer le nombre de caméras installées en France. La Cour des Comptes s'était elle-même plainte en juillet 2011 de l'absence d'estimation crédible du nombre de caméras de vidéosurveillance. Elle s'était aussi – et surtout – indignée du fait que le ministère de l'Intérieur ne propose aucune mesure honnête de l'impact de ces caméras sur la délinquance.

Comment se fait-il alors que la vidéosurveillance soit aujourd'hui si présente dans notre quotidien ?

 

Des caméras comme s'il en pleuvait

Laurent Mucchielli voit quelques raisons à cet engouement collectif.

Une première d'entre elles tient de l'influence exercée par les entreprises de sécurité. Celles-ci dépensent beaucoup pour vendre leurs produits auprès des élus. De fait, elles ont plus de moyens pour promouvoir leur discours que n'en ont les associations de prévention ou celles soucieuses des libertés civiles.

Certains liens personnels sèment d'ailleurs parfois le doute sur le rôle joué par ces entreprises dans la formation des politiques publiques. Plusieurs journaux s'étaient par exemple interrogés lorsqu'on avait appris que Brice Hortefeux, alors ministre de l'Intérieur, avait pour cousin le dirigeant d'une société de vidéosurveillance.

Il faut dire le marché de l'insécurité est aujourd'hui porteur. La sensibilité à l'insécurité et l'inquiétude que celle-ci génère sont aujourd'hui décuplés. Cette sensibilité pousse les élus de gauche comme de droite à mettre en place des politiques d'apparence ferme, que ce soit pour remporter les élections ou parce qu'ils sont eux-mêmes convaincus de la nécessité de ces politiques.

Mais si la vidéosurveillance s'est aujourd'hui imposée comme la réponse la plus souvent utilisée par les élus, le lobbying des entreprises du secteur n'en est qu'en partie responsable. Leurs produits résonnent en effet avec une certaine représentation aveugle des technologies, qui voit dans celles-ci le moyen unique et absolu de résoudre l'ensemble de nos problèmes.

Il ne faut pas non plus négliger le rôle que peuvent jouer les médias, surtout télévisuels. Ceux-ci multiplient en effet les sujets journalistiques mal ficelés, davantage destinés à accrocher le téléspectateur qu'à l'informer sérieusement. Le livre décortique ainsi un exemple parmi d'autres de reportage télévisé qui se contente de faire l'éloge de ces nouvelles technologies, sans s'interroger une seule seconde sur les éventuelles limites d'une politique de vidéosurveillance généralisée. Quelques journalistes, un peu trop proches de tel ou tel pouvoir public, font eux directement la publicité des décisions prises par celui-ci. La presse locale a aussi une influence : les élus qui décident d'installer des caméras de vidéosurveillance y ont presque toujours droit à quelques articles.

La vidéosurveillance devient ainsi de plus en plus difficile à contourner pour les élus. Même les plus réticents finissent souvent par l'adopter, sous la pression de leur opposition ou des assurances.

 

Un bilan décevant

Pour enfin mesurer les effets de la vidéosurveillance en France, Laurent Mucchielli nous propose d'étudier en profondeur les exemples de trois villes françaises (anonymisées) de dimensions différentes. Plutôt que de se contenter de mesures statistiques, dont on ne sait pas toujours à quoi elles correspondent réellement, le sociologue a en effet préféré opter ici pour une approche plus qualitative, et ce afin de saisir à partir d'exemples concrets de quelle manière cette vidéosurveillance opère sur le terrain, et quels effets les caméras ont réellement sur le comportement des différents acteurs.

Les conclusions que Laurent Mucchielli tire de cette étude ont de quoi nous décevoir. Les caméras de vidéosurveillance ne dissuadent que très peu les délinquants (qui se contentent le plus souvent de commettre leurs délits ailleurs), et ne permettent que rarement d'en retrouver. Elles n'ont par exemple pas pu empêcher les attentats de Nice, en dépit de onze repérages effectués par le terroriste avec un véhicule d'un poids prohibé dans cette partie de la ville. Les fonctionnaires qui doivent regarder ces vidéos à longueur de journée témoignent eux d'un ennui profond.

Ces caméras sont qui plus est mal entretenues, et même souvent mal situées ; de nombreuses caméras se contentent ainsi de filmer les feuillages des arbres tout au long de l'année. Celles qui sont installées par les commerces enfreignent elles souvent la loi (absence d'autorisation du préfet, public non informé, images conservées indéfiniment, etc.).

Ces résultats, qui sont confirmés par de nombreuses études internationales, tendent à confirmer que les moyens que mettent les pouvoirs publics dans la vidéosurveillance seraient mieux employés ailleurs.

Laurent Mucchielli considère cependant que la vidéosurveillance peut être pertinente pour limiter quelques rares phénomènes de délinquance : il estime ainsi que les caméras peuvent contribuer à assurer la surveillance de parkings.

 

Le spectre de Big Brother

Une autre inquiétude suscitée par la vidéosurveillance est elle évoquée plus brièvement par l'auteur : la crainte d'une éventuelle surveillance généralisée de la population, crainte qui mène certaines personnes à rejeter par principe toute vidéosurveillance.

L'auteur reconnaît que les pouvoirs publics investissent de plus en plus dans des technologies de surveillance souvent très imparfaites (logiciel de reconnaissance automatique, drones de surveillance, etc.). La Chine, qui expérimente d'ailleurs en ce moment des drones de surveillance à l'allure d'oiseaux, effraye avec son système de notation des citoyens qu'elle implémente depuis mai dernier. Plusieurs villes américaines (comme Los Angeles, New York ou New Orleans) essayent même des logiciels plus ou moins fumeux de « prédiction du crime », aux biais racistes souvent patents.

Laurent Mucchielli dénonce ces tentations démiurgiques et autoritaires. Il semble néanmoins surtout penser que les contempteurs de ces technologies ont en commun avec leurs plus grands soutiens de surestimer ce que ces technologies sont aujourd'hui capables de faire. Ils surestimeraient aussi la compétence des services qui les implémentent, ainsi que leur volonté de coopérer entre eux. Si ces affirmations contiennent sans nul doute une part de vérité, il n'en est pas moins difficile de voir comment cette course aux technologies de surveillance pourrait être inversée dans le cadre actuel