Lucie et Jean-François Muracciole racontent l’aventure complexe d’une Résistance mal connue.

« Trois mille sept cents volontaires venus des quatre coins de la planète sont disposés à crever pour une France que la plupart d’entre eux n’ont jamais vue et ne verront jamais »   . Ce passage sur la bataille de Bir Hakeim témoigne de la difficulté à saisir ce que fut la France libre, mouvement bigarré dans lequel la majorité des volontaires ne disposaient guère de liens avec la France. C’est par un roman à quatre mains que Lucie et Jean-François Muracciole ont choisi de retracer le parcours de quelques Français libres. Spécialiste de cette thématique, l’historien Jean-François Muracciole   trouve ici une certaine liberté pour donner vie aux formes d’engagements et parcours d’hommes ayant choisi de rejoindre Londres. La forme du journal permet de traverser le siècle, depuis la bataille des Dardanelles jusqu’aux années 2000, derrière Pierre Verdeil tour à tour cadre militaire de la France libre, préfet de police en mai 1968, ambassadeur, puis témoin d’une période que peu de gens semblent à même de comprendre au début du XXIe siècle.

 

Du Français libre au préfet de police

Le dernier compagnon fait référence au caveau N°9 du mont Valérien qui accueillera la sépulture du dernier résistant. Tout au long du roman, le lecteur suit donc l’itinéraire de Pierre Verdeil qui pourrait devenir cet ultime compagnon, bien qu’il ait demandé à être enterré à Brest. À aucun moment, celui-ci n’est héroïsé par les auteurs. Le choix a été fait de mener une comparaison entre son parcours de Français libre et son regard sur les événements de mai 1968 en tant que préfet de police, mais aussi sur son parcours lors des années 1940-1945 avec deux décennies de recul. Cet itinéraire traça sa trajectoire pour le reste de sa vie, puisqu’il obtint par ce statut des postes confortables dans l’administration. Pour autant, après la guerre, personne ne semblait comprendre ou reconnaître la nature de son engagement contre Vichy. Ses enfants le rejetèrent, à l’image de son fils Antoine qui devint un des cadres de l’UNEF et reprit le nom de sa mère. Il en fut de même durant les années 2000, quand invité dans un talk-show, Pierre parut en décalage complet avec les autres invités et la société spectacle. Peut-être que ceux qui comprirent le mieux son itinéraire furent des élèves du secondaire dont l’enseignante fit venir Pierre en tant que témoin.

On appréciera la qualité d'écriture avec des formules qui feront sourire les historiens, comme la Manche qui devint le meilleur fossé antichar qui soit   . Le langage ordurier de Shlomo Bronstein transformant ces jeunes volontaires en véritables soldats ne rend l'ensemble que plus crédible. Pour autant, la plume de l’historien transparaît rapidement à travers le récit de moments clés des années 1940-1945.

 

La grande histoire

Le roman permet ici de revenir sur certains des plus grands épisodes de la Seconde Guerre mondiale, voire du XXe siècle, avec une certaine liberté sans jamais tronquer la vérité. Il faudra donc lire le fameux discours de Patton à la IIIe armée, immortalisé par le film de Franklin Schaffner. Si quelques libertés ont été prises avec la forme originale, la lecture n'en reste pas moins particulièrement savoureuse   . Les pages consacrées aux longues négociations entre de Gaulle, Giraud, Churchill et Roosevelt sur le rôle des deux généraux dans le futur mouvement polico-militaire sont des plus palpitantes avec un Churchill recevant l’homme du 18 juin en peignoir et enchaînant les verres de whisky.

Les pages noires n'en sont pas moins abordées. Les soldats coloniaux ayant composé une large part des effectifs de la France libre furent peu reconnus. Cette différence se retrouvait également dans la mort puisque des tirailleurs décédés lors de la campagne en Syrie en 1941 furent jetés dans des fosses alors que les Français avaient droit à des tombes individuelles et services religieux. La vision profondément raciste d'un médecin amputant à la scie un tirailleur sénégalais témoigne de ce mépris   . Lors de l'avancée en Italie, trois soldats violèrent une enfant italienne. La faute fut alors portée sur trois goums marocains que Pierre Verdeil dut exécuter   .

L'épuration sauvage est également évoquée avec une bande de pseudo-justiciers enivrés brisant à coups de marteau les mains d'une pianiste accusée d'avoir collaboré avec l'ennemi   .

 

Une « aventure humaine »

La camaraderie apparaît comme la relation la plus étayée, rappelant ici À l’ouest rien de nouveau. Les auteurs ont travaillé leurs personnages et présentent un mouvement profondément hétérogène. Les républicains espagnols se retrouvèrent sous les ordres du « nationaliste » Bibelot. Au sein de la Légion, des Allemands et des Italiens combattirent leurs compatriotes, alors que la France libre comptait de nombreux soldats issus de l’empire.

Sur l’engagement de chacun, les auteurs ne présentent en aucun cas des héros. On garde plutôt le sentiment d’une bande de lycéens qui rejoignirent Londres en juin 1940 après le discours de Pétain sans forcément donner un sens à leur engagement. La première chose que Pierre, Antoine, Gourcuff et Bibelot firent, une fois arrivés en Grande-Bretagne, fut de se rendre au bordel afin de mourir « un peu moins cons »   . En revanche, après-guerre cela devint fondamental dans leur identité. Pierre Verdeil appela son fils Antoine en hommage à son ami mort au combat. L’amour de sa vie Golda avait également été rencontré pendant cette campagne et il ne la revit pas avant 1980. Les femmes sont toutefois peu présentes au sein du mouvement, si ce n’est Dorothée Lacoste torturée avant d’être envoyée à Ravensbrück, puis Susan Travers, conductrice du général Koenig lors de Bir Hakeim.

 

Lucie et Jean-François Muracciole présentent un roman historique passionnant. Pour la plupart des personnages, l’engagement dans la France libre fut davantage le résultat d’un concours de circonstances que le fruit de convictions profondes. La forme romanesque a le mérite de retracer certains des épisodes les plus glorieux de la France libre sans basculer dans l’apologie ou l’héroïsation à Bir Hakeim et lors de la libération de la France. Les rivalités à la tête de la Résistance et les difficiles négociations sur le rôle de ce mouvement au sein des Alliés côtoient des thèmes plus généraux comme le décalage générationnel qui se retrouve en 1940, 1960 et au début des années 2000. Espérons que la lecture passionnante de ce roman invitera à s’intéresser davantage aux Français libres