Une étude de la révolte du Bani-Volta en 1916 contre le recrutement d’Africains pour la Première Guerre mondiale.

Au cœur de la Grande Guerre, l’Afrique occidentale française connut une révolte de grande ampleur dans la région de l’Ouest-Volta. Cet événement, relativement bien connu par des historiennes et des historiens de l'Afrique, reste rarement évoqué dans les livres traitant du premier conflit mondial. Bien que la région fut déstabilisée pendant plusieurs mois, la plupart des spécialistes parlent de révolte, voire de « grande révolte » dans le cas de Marc Michel   . Pour sa part, le lieutenant-colonel Coulibaly préfère ici le terme de guerre. Si le propos est parfois confus et manque de portée analytique, l’officier prouve de manière convaincante que ce fut bien une guerre impliquant de multiples acteurs qui ravagea la région.

 

Le cadre historique et géographique

Une des forces incontestables de ce travail est de replacer un événement peu connu du grand public dans son cadre spatial et temporel. Partie du village de Bona, la révolte s’étendit depuis la boucle de la rivière Volta Noire jusqu’au cercle de Ouagadougou et la rivière du Bani dans le Soudan français. Céleste Coulibaly propose de nombreuses cartes permettant au novice de rapidement localiser la diffusion de la révolte. Le lecteur appréciera également la présentation historique de la colonie malgré quelques longueurs. Dans la région du Bani-Volta, l’organisation sociopolitique demeurait la communauté villageoise, ce qui expliquait les réticences à une structure hiérarchisée alors que des chefs de maisons musulmanes exploitaient leur canton dans leur propre intérêt. Le facteur déclencheur fut l’application du décret du 5 octobre 1915 appelant la conscription de 50 000 hommes. La révolte et les opérations de l’armée coloniale se déroulèrent entre novembre 1915 et juillet 1916.

 

Révolte ou guerre

L’élément le plus intéressant du travail de Céleste Coulibaly tient au choix des mots. Les Français parlent de révolte ou de résistance, d’autant qu’après l’indépendance, les premiers dirigeants de la République de Haute-Volta évoquèrent assez peu cet événement qui concernait essentiellement les ethnies minoritaires. Quelques commémorations ont toutefois eu lieu en 2016 pour le centenaire. Pour leur part, les populations s’engageant dans le conflit en 1915-1916 utilisèrent l’expression de « guerre contre le colonisateur ». Parmi les protagonistes de l’époque, seul le colonel Molard, chargé de la répression du mouvement employa le terme de guerre. Tout en s’appuyant sur Clausewitz, l’auteur explique que la conception de la guerre au Soudan était différente de ce qu’entendaient les colons par ce terme. Ces populations la voyaient comme un phénomène périodique qui ne pouvait avoir lieu qu’en saison sèche. Ce fut une alliance multiethnique qui se mit en place et les révoltés évitèrent le combat à découvert pour attirer l’armée dans les villages. Si la comparaison avec la guerre de Vendée laisse dubitatif, le bilan lève le moindre doute sur la violence des combats : les forces coloniales bombardèrent et incendièrent des villages, puis détruisirent les réserves alimentaires. Comme le rappelle si bien Céleste Coulibaly, plus de 2 000 obus de 80mm et 100 000 cartouches de fusils furent utilisés. Ce déploiement matériel finit par rallier le lecteur à l’idée majeur de l’auteur malgré quelques fautes qui limitent la portée de son propos. Il affirme ainsi que la région aurait « probablement été le théâtre de tueries de non-combattants » sans s’appuyer sur aucune source   . Malgré cette faute historique, l’argumentation demeure convaincante.

 

Un événement révélateur de la situation coloniale

Avec 188 pages rédigées, le manuscrit est assez court. Si Céleste Coulibaly a un lien familial fort avec cette révolte, il présente un travail objectif qui s’inscrit pleinement dans l’historiographie des systèmes coloniaux pensée depuis deux décennies. De nombreux thèmes passionnants sont ainsi effleurés sans être approfondis. La guerre du Bani-Volta ne fut nullement un affrontement manichéen entre le tyran colonial et les victimes autochtones. Au sein des populations locales, les divisions demeurèrent nombreuses et certains choisirent le camp des colonisateurs. Quelques villages fidèles aux Français furent donc détruits pour l’exemple. Céleste Coulibaly tient ici une problématique passionnante qui aurait mérité d’être développée, à savoir la dimension de « guerre civile » que revêtit le conflit.

L’autre point qui place l’auteur dans un courant historiographique attentif aux rencontres, aux échanges et aux hybridités est la place des autochtones dans le système colonial. Ce territoire comptait 17 administrateurs pour 88 000 habitants, l’administration était donc obligée de s’appuyer sur des chefs de village et de diviser pour mieux régner afin d’exploiter ces espaces coloniaux.

 

 

Si le propos est parfois flou et souvent peu approfondi, Céleste Coulibaly présente un ouvrage court et passionnant. Il aurait cependant pu citer de brillantes africanistes ayant travaillé sur ce thème comme Danièle Domergue-Cloarec, Colette Dubois et surtout Hélène d’Almeida-Topor qui a étudié la révolte des populations dahoméennes durant cette même période.

Il n’en demeure pas moins que l’auteur analyse un conflit peu connu de la Grande Guerre tout en proposant un travail sémantique. Il invite aussi à réfléchir à la notion de résistance en situation coloniale qui doit être pensée selon des modalités et des degrés différents