Un recueil de plus de 300 témoignages d'anonymes sur Mai 68 qui donne une coloration différente à l'événement, davantage libertaire.

Parmi les initiatives heureuses de l’anniversaire de Mai 68, l’une d’entre elles a été de rendre la parole aux acteurs anonymes de l’événement. Mai 68 par celles et ceux qui l’ont vécu désarçonnera peut-être le lecteur du fait de son caractère polymorphique. Pourtant autant, il est indubitablement traversé par l’esprit de ces journées et en rend fort bien compte.

 

Aux origines du projet

Le livre est le fruit d’une longue collecte, lancée par des appels à témoignage dans les réseaux sociaux marqués à gauche dans l’espace politique, médiatique et social : le journal Mediapart, des sociologues, héritiers à des degrés divers de Pierre Bourdieu, et les éditions de l’Atelier.

Selon les auteurs, le nombre de récits collectés s’élève à 316, allant de quelques phrases à de quasi-manuscrits, en passant par des photos, des poèmes, etc. Les coordinateurs ont choisi de publier ces témoignages dans leur intégralité ou sous la forme d’extraits, ayant auparavant soumis les coupes aux témoins.

Ils les ont regroupés de façon thématique : les prodromes, les enfants, les étudiants, les ouvriers, les bouleversements individuels et collectifs, le développement du militantisme ou encore la perception de Mai. Le classement est souvent hasardeux, les contributions évoquant en effet plusieurs thématiques et abordant des aspects divers.

 

Un printemps libertaire

Mai 68 par celles et ceux qui l’ont vécu ne bouleversera pas la perception de 1968. En revanche, il laisse la parole à des acteurs de 1968 restés souvent anonymes. Ce faisant, il donne une coloration un peu différente à l’événement, davantage teintée de noir et moins de rouge.

En effet, les anecdotes rassemblées montrent qu’il s’agissait d’abord d’un printemps très libertaire, la suite l’étant nettement moins. Ainsi, les témoins rappellent qu’ils ont plus lu Daniel Guérin et Guy Debord que Mao ou Althusser. Que le désir que soulèvent les journées de Mai est d’abord celui d’une libération individuelle avant d’être collective. Les témoignages montrent que le « ras le bol » de l’autoritarisme est à la source de l’événement.

Le deuxième enseignement, qui n’est pas nouveau mais qui transparait ici, est l’origine des participants. On retrouve ce que montrait, il y a déjà trente ans, Jean-Pierre Duteuil dans Nanterre, vers le mouvement du 22 mars   , à savoir que la majeure partie des participants était issue de milieux sociaux intermédiaires, voire modestes, mais inscrits dans un milieu familial plutôt de gauche.

Le découpage permet de voir qu’une certaine effervescence existait depuis quelques mois chez les étudiants. Néanmoins, 1968 demeure un moment de cristallisation pour beaucoup, donnant vie à la politique ainsi qu’une impression de fête joyeuse. L’inclusion de témoignages de personnes âgées de 8 à 12 ans à l’époque renforce cette perception. Elle existe aussi chez les anciens ouvriers expliquant leur Mai : « Je vais au chagrin » explique l’un d’entre eux, « l’usine » signifiait « l’ennui ». Les ouvriers se sont mis à se parler et les ouvrières ont pris la parole. Beaucoup ont quitté les usines « casernes », évoquant de proche en proche le beau film d’Hervé Le Roux la Reprise   . Cette même reprise qui rend le mois de juin moins festif.

 

Autour et après

Les principaux éléments rassemblés montrent aussi les perceptions différentes, l’inquiétude d’événements lointains dans certaines familles, les fractures générationnelles : les plus jeunes voient depuis la Province le mouvement avec empathie, alors que les plus anciens s’en méfient. Si certains se sentent observateurs distants, voire étrangers à ce qui s’est passé, reconstituant après coup ce qu’ils ont pu voir. D’autres se rendent compte immédiatement, mais peut-être est-ce chez certains une reconstitution, que la vie ne sera plus tout à fait comme avant. Comme, cet autre exemple, qui semble particulièrement frappant tant il revient dans les témoignages : la libération de la sexualité. Elle augure les mouvements de la décennie suivante et explique du coup des reconstructions. Le désenchantement transparait également ; tous les auteurs soulignent en effet qu’il s’agit d’une parenthèse enchantée.

En définitive, si le pari de l’entreprise était osé, il est pleinement réussi

 

* Dossier : Mai 68 : retrouver l'événement.