Une biographie qui revient sur le parcours du successeur de R. Prodi à la tête de la gauche italienne.
La coalition de gauche au pouvoir ayant, une fois encore, implosée, l’Italie s’apprête à voter lors d’élections législatives anticipées, le 13 avril. Parmi les protagonistes de ce scrutin, Silvio Berlusconi, soutenu par la formation de centre-droit, Il popolo della libertà (Le peuple de la liberté), n’est plus à présenter : adoré par certains, honni par d’autres, il Cavaliere tente de devenir, pour la troisième fois président du Conseil. Son adversaire traditionnel, Romano Prodi, chef du gouvernement démissionnaire, ne lui fait cette fois pas face. Le maire de Rome et chef du Partito democratico, Walter Veltroni, est désormais le nouveau leader de la gauche italienne et se lance pour la première fois dans la course au Palazzo Chigi, le Matignon italien.
S’il est bien connu de ses compatriotes, l’opinion publique internationale ne sait pas vraiment qui est Walter Veltroni. Avant Veltroni, il piccolo principe (Veltroni, le petit prince), une seule biographie, datant de 1996, lui avait été dédiée, alors qu’il occupait les fonctions de vice-président du Conseil et ministre des Biens culturels. L’ouvrage des journalistes Marco Damilano (L’Espresso), Mariagrazia Gerina (L’Unità) et Fabio Martini (La Stampa), à ce jour pas encore traduit en français, se révèle donc essentiel pour mieux comprendre son itinéraire. Très bien documenté, il dépeint un homme complexe, apparaissant tour à tour attachant, doué, hésitant et attentiste.
Membre du PCI mais pas communiste
Comme beaucoup d’hommes politiques de premier plan, Walter Veltroni a eu plusieurs vies. Évoquer son parcours, c’est d’abord parler du Partito communista italiano. Il "n’a pas encore atteint 18 ans lorsqu’il est invité à faire sa première intervention lors d’une conférence nationale du parti, le 30 mars 1973" . Deux ans plus tard, il devient le leader des étudiants romains du PCI. Les communistes italiens sont à cette époque dirigés par Enrico Berlinguer, l’homme du "compromis historique" (l’idée d’une alliance avec "l’ennemi", la Démocratie chrétienne), et avec qui le parti atteindra son meilleur score de l'après-guerre, en 1976. Berlinguer est, avec Robert Kennedy, l’inspiration du jeune Veltroni. A 21 ans, il est élu conseiller municipal à Rome, sur la liste du PCI. Il garde cette fonction jusqu'en 1981.
Walter Veltroni a-t-il pour autant été lui-même communiste ? L’intéressé le nie. Les auteurs citent à ce propos une interview donnée près de vingt ans après ses débuts en politique : "On pouvait être au PCI sans être communiste. C’était possible, il en a été ainsi [pour moi]. Toutefois il y avait là une contradiction…" En 1999, il déclare même à La Stampa : "Communisme et liberté ont été incompatibles. C’est la grande tragédie après Auschwitz" . Bien que souvent perçu comme "différent" de ses collègues, Veltroni n'échappe pas, à certaines occasions, à la démagogie et au mensonge.
Un an et demi après son élection, il est démis de ses fonctions de chef de file d’étudiants romains de plus en plus tentés par l’épreuve de force. "J’avais cherché à expliquer ce qui était en train de se passer, mais c’était difficile", dira-t-il plus tard , semblant là encore refaire l’histoire en sa faveur. Il "abandonne le cursus honorum du fonctionnaire de carrière" , tandis que le PCI commence son lent déclin, entériné avec la mort de Berlinguer en 1986. Mais, comme à diverses occasions énoncées tout au long de la biographie, l’homme parvient alors à rebondir. "Veltroni démontre avoir une qualité fondamentale en politique : savoir transformer les moments difficiles en victoires" . Il sait en outre mélanger passions et politique. Il se tourne ainsi vers un secteur qu’il apprécie, et où le PCI est très en retard : la communication, les médias, la télévision. Fils de l’ex dirigeant de la Rai - notamment pendant la période fasciste - Vittorio Veltroni, mort alors que Walter n’a qu’un an, il devient au début des années 80 responsable de la presse et de la propagande du PCI. Il sait se rendre indispensable, à un moment où le parti enchaîne les revers électoraux. C’est naturellement vers lui qu’on se tourne lorsque la RAI traverse une grave crise (fin 1986) suite à l’avènement de l’audimat. Nouveau succès pour Veltroni qui, aux yeux des artistes (Mastroianni, Fellini), représente le principal rempart à la télé commerciale portée par un entrepreneur milanais aux dents longues : Silvio Berlusconi.
Massimo d’Alema, le "frère ennemi"
Dans le même temps, Veltroni ne délaisse pas le monde politique. En 1987, il est élu pour la première fois député. En 1989, il entre à la direction du parti communiste italien. Il en devient rapidement "l’un des piliers" , et s'appuie de nouveau sur sa modernité pour s’affirmer : il convainc la rock star Sting d'ouvrir un congrès du parti auquel il invite également Michaïl Gorbatchev, en pleine période de la perestroïka. La chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS poussent cependant le PCI à effectuer sa mue. Le changement de nom (Parti démocratique de la gauche) et de symbole (le chêne), se font à chaque fois sous l’influence, entre autres, de Veltroni.
Reste que l’histoire suit son cours : aux élections suivantes, l’ancien PCI sombre. Comme dix ans plus tôt, Veltroni, tout en restant dans la politique, se tourne vers les médias : le 11 mai 1992, après avoir refusé deux fois la proposition, il accepte le poste de directeur du quotidien communiste L’Unità. Le journal est alors en perte de vitesse, croule sous les dettes, tandis que les rédacteurs sont hostiles à cette nouvelle arrivée. Veltroni tient bon et rénove le périodique: "Il réinvente un genre journalistique, les "histoires des gens en chair et en os". […] Il démantèle les vieilles rubriques fixes. A leur place, tous les jours, un commentaire sur la télévision. Les jeunes écrivains italiens font désormais la queue pour écrire dans L’Unità" . En 1994, l’innovateur fait encore parler de lui : "Pourquoi ne pas vendre des cassettes vidéo de grands films avec le journal ?". Le résultat est exceptionnel. La Repubblica et Il Corriere della Sera copient bientôt l’idée. En 1995, les comptes du journal sont positifs.
En parallèle de ce succès, le milieu des années 90 est décisif pour le destin politique de Veltroni. Le premier événement est pourtant une défaite. En 1994, après la démission d’Achille Occhetto, la base du PDS le choisit comme secrétaire national, mais les membres du conseil national lui préfèrent Massimo d’Alema, son "meilleur ennemi". Les "deux jumeaux" , amis mais adversaires, ne cesseront de s’affronter, jamais ouvertement car "l’un a besoin de l’autre" . Veltroni se présentera comme le "nouveau qui avance" , situé hors des sentiers battus, face à celui perçu comme un homme d’appareil, terne et sérieux. S’il soutient d’Alema pour succéder à Prodi comme président du Conseil italien en 1998, Veltroni ne fera rien pour enrayer sa démission en 2000.
Les rapports sont du même ordre avec le professore Romano Prodi. En 1996, Veltroni porte au pouvoir cet économiste qui est tout sauf un homme politique. Il mène la campagne de main de maître au nom de la coalition de L’Ulivo (L’Olivier), premier pas pour Veltroni vers la création d’un Parti démocrate, rassemblant le centre et la gauche. Devenu vice-président du Conseil et ministre des Biens culturels, il met en valeur sa passion de jeunesse : le cinéma. Les subventions se multiplient, pas toujours avec succès. Son activité permet cependant de "modifier le statut de ce ministère poussiéreux" . La coalition, trop hétéroclite, provoque, en 1998, la chute de Prodi, avec la complicité implicite de Veltroni.
Le "petit fromage"
D’Alema au Palazzo Chigi, son "meilleur ennemi" choisit de se consacrer au nouveau parti, Democratici di Sinistra (Démocrates de gauche), regroupant des formations de diverses tendances – laïques et catholiques. Il en devient le secrétaire le 6 novembre 1998. Avec lui comme chef, "le message est clair : le catholicisme démocrate, le socialisme libéral et le "meilleur" du PCI peuvent vivre ensemble, se fondre, se valoriser mutuellement". Néanmoins, sorti du gouvernement, beaucoup croient ce "rêveur de Veltroni", hors-jeu. Le choix par le Parlement du nouveau président de la République, en 1999, montre comment, "en réalité, l’homme, sans le faire voir, connaît les règles et les secrets de la manœuvre politique" : il parvient ainsi, contre l’avis de Massimo d’Alema, à imposer "son" candidat, Carlo Azeglio Ciampi.
Le gouvernement d'Alema tombe le 19 avril 2000. La gauche est désemparée et sait qu'elle va perdre des élections qui signeront le retour au pouvoir de Berlusconi. Veltroni, fuyant le désastre, délaisse la politique nationale, quitte la direction du parti et se tourne vers ce que les auteurs qualifient de "choix d'une vie" : la mairie de Rome. Pour Veltroni, diriger la capitale "est un point d'arrivée, non un pas en arrière" . Selon ses adversaires et ses "amis", en revanche, c'est un lâche qui abandonne les siens, d'où ce nouveau surnom: "le petit fromage, parce que dans les moments chauds, il se liquéfie" .
La campagne et la victoire de Veltroni à Rome sont difficiles. Mais le nouveau maire va une nouvelle fois étonner: "après cinq années de gouvernance, Walter Veltroni est "le maire de tous les Romains" , une sorte de "Jean-Paul II laïc" . Il reçoit une fois par semaine des habitants de la ville venus lui exposer leurs problèmes. Il se fait le défenseur de toutes les victimes... jusqu'à mobiliser les forces de l'ordre pour retrouver le chien d'une petite fille. Il reprend les idées de Bertrand Delanoë (Nuit blanche, Rome plage). Il crée un festival international du cinéma dans la capitale. L'ancien membre du PCI parvient même à établir des accords cordiaux avec le Vatican, car "si on peut conquérir Rome sans l'Église, on ne peut gouverner Rome sans l'Église" .
Face à son destin
Le style Veltroni repose sur "trois commandements: communiquer à tous, sans distinction; être moderne; faire rêver et émouvoir" . Une formule efficace : le magazine Time le classe comme l'un des cinq meilleurs maires d'Europe. Certaines critiques parviennent à poindre : on lui reproche de ne pas s'occuper de la "ville d'en bas", de la violence en perpétuelle progression ou des prix de l'immobilier qui ne cessent de croître. Veltroni est néanmoins réélu triomphalement en 2006 (61,45% contre 52,2% en 2001). Il apparaît alors comme le futur grand leader de gauche.
Mais l'homme, là encore, hésite. En 2005-2006, il refuse de prendre la place de Romano Prodi pour mener la campagne des législatives contre Silvio Berlusconi. La gauche gagne de peu et Prodi, pris dans la nasse d'une coalition instable, est dès le départ en sursis. Veltroni ne fait pas beaucoup d'efforts pour soutenir le président du Conseil. Cette situation lui permet en effet de créer l'organisation dont il rêve depuis plusieurs décennies: le Partito Democratico, sorte de Modem italien, débarrassé de l'obligation de s'allier avec diverses formations d'extrême-gauche et du centre. Suite à des élections primaires auxquelles ont participé plus de trois millions d'Italiens, Veltroni est élu, à l'automne 2007, secrétaire général du parti avec près de 80 % des voix. Il avait pourtant laissé entendre désirer abandonner la politique après son deuxième mandat de maire, tenté par une nouvelle vie, par exemple en Afrique.
"J’attends. […] Quelque chose arrivera, y penser me donne même plus d’énergie que vivre ce qui se passe", faisait-il dire au protagoniste de l’un de ses romans, Senza Patricio, paru en 2004. Aujourd’hui, Walter Veltroni semble être cette figure incontournable destinée un jour à être appelé à diriger l’Italie. Il est désormais face à son destin. Celui-ci ne se jouera pas forcément lors des prochaines législatives. L’impopularité de Romano Prodi semble avoir condamné la gauche à repasser dans l’opposition. C’est en fait après le 13 avril que tout (re)commence pour le maire de Rome.
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Crédit photo: Flickr.com/ AndreasC