Emmanuel Venet, romancier et psychiatre à Lyon, propose un Manuel de survie en milieu conjugal sous la forme de poèmes carrés pleins d’humour.

Emmanuel Venet avait déjà exploré, avec un humour aussi tonique que ravageur, les méandres et les difficultés de la vie conjugale dans son roman Rien en 2013. C’est par le procédé très oulipien de la contrainte du poème carré, qu’il envisage cette fois ce sujet, le premier poème racontant la rencontre avec celle qui « est devenue [s]a régulière ».

 

Délices de la contrainte

Mais la création poétique ne semble guère compatible avec les corvées du quotidien à deux : « installer des rideaux, accrocher des tableaux, sortir la poubelle, nettoyer le jardin, ravitailler la maison ». On trouve pourtant, toujours en forme de carré, un sonnet en alexandrins qui proclame l’originalité de cette contrainte, à laquelle même les plus grands poètes (Hugo, Baudelaire, Rimbaud…) n’ont pas songé.

L’auteur s’enchante de l’amour des commencements : « Au début de notre liaison, son corps m’émouvait et mes anecdotes la faisaient beaucoup rire. » Réciprocité parfaite qui, on le sent, ne saurait durer dans cette perfection et cette symétrie. Le poète rêve pourtant de rencontrer « une forte en géométrie affective » capable de comprendre son « immense talent formel » et de ranger ses livres « à côté de ceux d’Henri Michaux et d’Apollinaire ». Il pourra ainsi, « à la terrasse du Mondrian » savourer « à la fois [s]a bière et [s]a joie d’être enfin reconnu ». Le lecteur, tout à la joie de ce zeugme bien savoureux en effet, y croirait presque…

 

Plaisirs de la variation

Glissés entre ces poèmes carrés, on en trouve bien un « triangulaire », comme l’annonce le titre, mais aussi un rond et un losange, comprenant en leur sein une réflexion sur leur forme, ce qui fait d’eux des « métapoèmes » et laisse prévoir de riches débats « un jour, forcément, lors d’un colloque universitaire sur [s]on œuvre ». L’humour n’est jamais aussi subtil que lorsque l’on sait l’exercer sur soi-même et l’ensemble se lit comme une déclaration d’amour et d’humour à l’humour et à l’amour, avec un sens de l’autodérision très appréciable, y compris sur ses confrères, non plus en poésie, mais en soins des âmes :

« Comme disait mon psychanalyste, qui le tenait sans doute du sien, il n’y a pas que l’amour dans la vie. C’est sans doute vrai, il y a beaucoup d’autres choses agréables […] ; et beaucoup d’autres choses désagréables […]. Mais rien qui vaille l’amour, en agrément ou en désagrément. Alors un jour je me suis dit qu’il n’y avait pas que la psychanalyse dans la vie. »

Enrichis de ces « poèmes au carré » pour notre plus grand plaisir, saluons le travail de l’éditeur qui a fait de ce livre un très bel objet, à lire certes, mais aussi à regarder et à manipuler. Bravo !