Emmanuel Venet, psychiatre et romancier, se livre à un inventaire des plaisirs minuscules qui font le sel de la vie et dessine en creux un autoportrait émouvant.

J’aurai tant aimé, ce sont 480 phrases qui commencent toutes par cette annonce au futur antérieur, comme Perec avait réuni 480 « Je me souviens », avec le même mouvement addictif qui pousse d’une entrée à l’autre et tient à la fois au plus intime et à une manière d’écrire l’histoire : « J’aurai tant aimé le rendez-vous quotidien avec Les Deschiens dans les années quatre-vingt-dix. » Il y aussi Les Shadocks et La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède.

Autant dire un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître et un effet générationnel indéniable, même quand on a appris à écrire avec un stypen, et non un porte-plume : « J’aurai tant aimé le goût de la colle blanche, fleur d’amande pour moi indéfectiblement liée aux encriers de porcelaine enchâssés dans un trou du bureau », et qui n’avaient pas disparu dans ma salle de classe. Les évocations sont parfois si fines qu’on a le sentiment qu’elles mettent des mots sur des émotions restées jusque-là muettes au fond de nous : « J’aurai tant aimé la sensation de déjà-vu, qui donne l’impression de connaître ce qui va suivre et donc, furtivement, de pouvoir lire l’avenir. »

 

Un goût des plaisirs et d’un art de vivre ouvert à tous

On trouve dans cette liste les noms de Henri Calet, Pierre Guyotat, Francis Marmande, ce qui donne une idée de la caste du générique, pour reprendre un terme de tauromachie. Emmanuel Venet fait parfois de cet inventaire léger et poétique le lieu d’un tombeau pour garder vivant un nom menacé de disparition : « J’aurai tant aimé le musée d’art brut à Lausanne, où sont exposées les œuvres du peintre Sylvain Fusco, artiste instinctif et première victime de la famine qui frappa l’hôpital psychiatrique du Vinatier, pendant la Seconde Guerre mondiale. » De sa pratique littéraire, ce psychiatre n’exclut pas ses patients : « J’aurai tant aimé les néologismes, les formulations hermétiques et la prosodie maniérée des schizophrènes. » Il a même donné à son personnage atteint du syndrome d’Asperger dans Marcher droit. Tourner en rond (2016) son goût pour « les initiales du bonheur : Alphonse Allais, Brigitte Bardot, Camille Claudel, Marco Materazzi, Zinedine Zidane. »

Ces phrases pourraient servir d’incipit à des autobiographies imaginaires, d’anciens fumeurs (« J’aurai tant aimé le tabac anglais, et l’élégance des paquets de John Player’s Special ou de Benson & Hedges »), de bibliophiles (« J’aurai tant aimé couvrir mes livres avec du papier cristal »), de graphomanes (« J’aurai tant aimé les carnets, les blocs-notes et les livres blancs ») et, pourquoi pas, d’écrivains (« J’aurai tant aimé les zeugmes et en truffer mes écrits »). L’humour le dispute à une forme subtile et impalpable d’émotion, ce qui donne à ce livre une saveur délicieuse que l’on a envie de faire goûter à d’autres