Le spécialiste de l’histoire de l’Algérie, Benjamin Stora reprend son autobiographie, de Mai 68 à nos jours.

Quinze ans après son autobiographie, La dernière génération d’octobre, Benjamin Stora propose la suite de ses mémoires, qui prolongent le premier volume. Il s’agit d’une évocation des décennies 1970 et 1980 qui sont marquées par l’engagement – militant puis en tant qu’historien – et la tragédie : le décès de sa fille, Cécile.

Benjamin Stora propose une relecture de la période 1968-2018 à travers son itinéraire militant et plus largement une relecture de l’histoire d’une partie de la gauche, trotskiste d’abord, puis socialiste.

La dernière génération d’Octobre soulignait la rage et les passions d’un jeune militant qui se frottait et se construisait contre l’ordre gaullien. Les héritages égarés portent un regard plus pacifié, soulignant les voies de l’intégration sociale et politique du jeune militant devenu enseignant. L’historien, même s’il a mis à distances ses engagements, garde, non pas une nostalgie, mais une forme de fidélité à son passé.

Benjamin Stora revient en quelques pages sur l’ennui qui a porté les générations de 68. Cette perception du temps explique la forme de délivrance qu’a été le moment 68, sorte de passage et de basculement dans un autre monde, et aussi la nostalgie des seventies, véritable abime permettant de vivre sans temps mort, incarné par son engagement dans le trotskisme à l’Organisation communiste internationaliste (OCI).

Les héritages égarés sont ceux qui ont finalement perduré dans la société française sans le dire en prenant des chemins de traverses. L’historien voit dans la transformation de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) en Parti socialiste et dans le rôle et l’action de François Mitterrand un prolongement de Mai 68. Cette continuité explique la conversion d’une partie des militants trotskistes de l’OCI en militants du Parti socialiste sous l’égide de Jean-Christophe Cambadélis et du courant Convergences socialistes (CS).

Les pratiques du groupe poursuivaient en partie les techniques de prises de pouvoir issues de l’OCI. Ainsi, il raconte, par exemple, comment les militants se sont tous retrouvés dans la section du XIXe du Parti socialiste pour placer un proche de CS à la députation. Les mémoires politiques s’interrompent laissant place à un récit sur la solitude de la souffrance face au deuil, puis aux menaces de mort émanant de proches du groupe islamiste armée et à la maladie, que Benjamin Stora décrit avec dignité et sobriété.

Stora renoue ensuite les fils de son récit en montrant que ses travaux historiens sont la suite indirecte de ses engagements de jeunesse. Les questions d’Orient soulevées dans le dernier chapitre sont les échos des débats aujourd’hui oubliés des Internationales ouvrières, comme la question d’Orient évoquée dans les premiers temps de la Troisième internationale, comme si le militantisme et ses réflexions poursuivaient l’historien, comme une manière de boucler la boucle et de se comprendre à travers les autres

 

* Dossier : Mai 68 : retrouver l'événement.