Un travail qui analyse en profondeur la dialectique complexe entre les Français et l’expérience guerrière.

« L’histoire militaire a trop longtemps été tenue dans le plus grand mépris en France, soit par suffisance, soit par idéologie »   . Par ces mots, l’historien François Cochet entend redonner ses lettres de noblesse à l’histoire des guerres et surtout des sociétés qui la vivent. Si l’histoire militaire s’est profondément renouvelée depuis la fin des années 1970, force est de constater qu’elle demeure encore mal comprise. L’ouvrage présenté analyse cette période complexe de la France, depuis la guerre de 1870 jusqu’à nos jours. Si les Français semblent ne jamais avoir apprécié la guerre, ils la pratiquent régulièrement et sous de multiples formes. Étudier la France par ses guerres et ses combattants, c’est à la fois s’interroger sur l’histoire politique du pays, questionner le lien entre le devoir de défense et la citoyenneté, puis étudier la place de la France dans le système-monde.

L’historien champenois a opté pour un plan en trois parties qui lui permet d’analyser l’identité de ceux qui font la guerre, puis les causes pour lesquelles ils combattent, avant de terminer sur les formes de la guerre. 

 

De multiples acteurs

François Cochet se concentre d’abord et avant tout sur ceux qui font la guerre. Le conscrit côtoie donc le volontaire sur une bonne partie de l’ouvrage. La recherche d’hommes en mesure de combattre fut un souci constant qui imposa parfois la prise de décisions comme la levée en masse du 4 novembre 1870 de tous les hommes célibataires ou veufs de 20 à 40 ans. Les différentes lois sur la conscription, s’inscrivant dans la continuité de la loi Jourdan-Delbrel du 5 septembre 1798, permirent de construire une armée de masse entre 1872 et 1905. Dès lors, tous les hommes effectuaient leur service militaire et ne pouvaient recourir à la pratique du remplacement. Cette massification du fait guerrier conduisit également à une transformation du comportement des civils revêtant l’uniforme. François Cochet passe en revue tous les soldats de l’armée française, dont les fameux marsouins et bigors composant respectivement l’infanterie et l’artillerie de marine.

On appréciera tout particulièrement les pages consacrées aux soldats venus de l’empire. Les effectifs métropolitains demeuraient peu nombreux pour les conquêtes coloniales et les supplétifs locaux jouèrent un rôle majeur, ce qui amène d’ailleurs l’auteur à rappeler que l’empire a surtout été conquis par lui-même   .Cette présence ne fut pas un épiphénomène puisque durant la Seconde Guerre mondiale, 66% des Français libres étaient issus de l’Empire. Pourtant, le blanchiment des troupes opéré suite à l’opération Anvil avec des membres des FFI témoigne du manque de reconnaissance envers les soldats coloniaux.

L’engagement de Garibaldi à la tête de l’armée des Vosges en 1870 ou des 2 300 garibaldiens au début de la Grande Guerre, alors que l’Italie était neutre, montre aussi que la cause guerrière fut parfois mieux comprise par des étrangers que par des Français qui firent des choix inverses, à l’image de Doriot et de la Légion des volontaires français.

Enfin, les femmes sont bel et bien présentes dans cet ouvrage depuis les engagées dans la Résistance et l’armée de Libération aux femmes représentant 15% des effectifs de l’armée française aujourd’hui. Il n’oublie pas au passage que 136 Françaises ont rejoint les rangs de l’état islamique. C’est d’ailleurs sur une femme que François Cochet conclut son ouvrage : Jeannette Guyot morte en 2016 à 97 ans dans le plus grand silence des médias français alors que The Telegraph lui rendait hommage. Elle avait pourtant été parachutée deux fois en France, puis servit d’officier de liaison au colonel Remy, avant d’être arrêtée et torturée.

 

Des guerres de nature diverse

Des guerres coloniales à la lutte contre le terrorisme, François Cochet fait ressortir les spécificités de chaque conflit connu par la France, sans tomber dans le catalogue. Tout en suivant un plan chronologique dans chaque partie, il parvient à dégager quelques lignes de force. Il ressort ainsi que sur l’ensemble de la période, l’armée française a souvent péché par rapport à certains de ses voisins par les moyens qui lui étaient attribués depuis les batailles d’août 1870 où les Français se battirent à chaque fois à un contre deux au fait qu’aujourd’hui la France ne consacre qu’1,5% de son PIB à la Défense contre 2% pour la Grande Bretagne.

Si l’armée de terre demeure au cœur de l’ouvrage, l’auteur consacre également quelques pages aux troupes de marine, comme la bataille de Bazeilles   et même au rôle de la cyberdéfense aujourd’hui. Il met également en exergue les erreurs commises pour chaque conflit. Tant pour la guerre de 1870, que pour les deux guerres mondiales, l’entrée dans le conflit fut marquée par de multiples erreurs, il semblerait aussi que les conflits actuels contre le terrorisme soient mal compris et non perçus comme une guerre longue et totale.

Pour éclairer son propos, l’historien recourt à de nombreuses cartes permettant de mieux saisir le contexte tactique des batailles évoquées et aussi des témoignages. Le lecteur appréciera les textes de Lamartine sur la nature primitive des bédouins   , d’Henri-Irénée Marrou sur la torture en Algérie   ou le magnifique texte du colonel Bernard Thorette qui expliquait à ses soldats pour quelles causes ils se battaient dans le Golfe   .

On appréciera également la solide réflexion expliquant ce que la guerre totale doit, ou non, aux guerres coloniales. Il rappelle d’ailleurs à juste titre que pour les comprendre, il faut bien garder en mémoire les méthodes de combats des Algériens avant la conquête française. La guerre de mouvement ne permettait pas de gérer les prisonniers, ce qui expliquait leur exécution.

 

Comprendre les combattants

L’objectif de l’ouvrage est de suivre au plus près les hommes et les femmes qui pratiquent la guerre. Cela passe néanmoins par une solide description de l’armement. Tout le passage sur les modèles de grenades utilisés durant la Grande Guerre, le crapouillot et le lance-flammes permet, en partie, d’expliquer la désobéissance avant même 1917 et les moyens employés pouréviter l’épreuve du feu. Comme tout historien travaillant sur la Grande Guerre, François Cochet a été amené à se prononcer sur l’incontournable débat contrainte/consentement   . Il insiste ici sur le fait que la palette d’attitudes au feu était variée et met en avant le micro-consentement accordé au chef subalterne. Les épisodes peu glorieux de la guerre d’Indochine côtoientles actions héroïques comme le sacrifice de 350 soldats au bois des Caures le 21 février 1916 contre 10 000 Allemands.

Le dernier chapitre s’avère le plus passionnant et le thème a déjà été traité par l’auteur   . Il s’agit de revenir sur la mort, la blessure et le traumatisme. Ces questions sont aujourd’hui largement étudiées par l’histoire militaire. Il faut tout d’abord réaliser que les Français meurent de moins en moins de la guerre, mais ce sacrifice est devenu insupportable.

Le sort des prisonniers de Dien Bien Phu, la mort massive lors de la Grande Guerre avec des nuances régionales, le triage des blessés, le traumatisme psychologique et la façon de donner la mort qui se fait de plus en plus sans voir l’adversaire à partir de 1914 représentent ici le terrible visage de la guerre.

 

 

Sans parler d’un plaidoyer en faveur de l’histoire militaire, François Cochet propose une lecture de la France depuis 1870 à travers ses guerres et ceux qui y ont participé. Pourrait-on encore affirmer que l’histoire politique se résume à l’énumération  des différents gouvernements de la Ve République ou que l’histoire économique ne s’accomplit que par des tableaux statistiques sans âme ? Il en va de même de l’histoire militaire.

L’histoire globale du fait guerrier telle qu’elle est présentée par François Cochet et par de nombreux historiens aujourd’hui se veut à la croisée de l’histoire politique, sociale et culturelle. L’approche sociologique offre également de magnifiques monographies sur des groupes de combattants permettant de mieux comprendre le soldat avant, pendant et après le combat.