Qu’un deus ex machina transporte Flaubert dans notre XXIe siècle, et on retrouve le goût des jeux où rien n’est grave, où ne compte que le plaisir de jouer.

« Au réveil il ne savait pas qu’il était connu » : tel est l’incipit énigmatique de ce roman savoureux. Gustave Flaubert s’endort au Caire en 1850 et se réveille à Paris à l’Hôtel du Louvre en 2014. Il est devenu Gustav Flötberg, auteur islandais célèbre dans le monde entier. Nancy Erocratos, son agent, a bien du mal à comprendre tous les caprices d’un écrivain dont elle connaît portant bien la « névrose », et surtout sa recherche de la réincarnation de Maxime du Camp. Le jeu littéraire, en forme de plaisant exercice de style, accumule les références à la biographie de Flaubert et à ses exégètes. Quand Du Camp apporte à Flötberg les trois tomes de L’Idiot de la famille, il explique : « Deux mille cent trente-six pages, dix ans de travail. Ce Sartre est un binoclard assez connu qui a refusé le prix d’un fabricant de dynamite. »

 

L’intertextualité comme principe d’un jeu de pistes pour le lecteur

Les critiques de ce roman cultivé, qui multiplie les citations de Flaubert, mais aussi d’autres auteurs (Baudelaire, Proust, Verlaine, Montaigne etc.), se garderont bien de publier leurs travaux dans des revues trop savantes. Alors que Gustav Flötberg doit faire une conférence dans quelques jours, il décide de se contenter de trois phrases : « La mécanique à gloser se mettrait en route : il les connaissait, ces brioches des universitaires, il en avait ramassé des miettes plein les sites, des articles entiers sur les « circonstants intraprédicatifs » dans son œuvre ! »

 

Un cours d’histoire littéraire dynamité par la fantaisie et les paradoxes temporels

La pochade est bien documentée et c’est ce qui fait toute sa saveur. On retrouve bien sûr Louise Colet, rendue célèbre par les lettres que lui a envoyées Flaubert, et dont les étudiants de littérature connaissent certains passages par cœur, quand ils n’ont pas planché sur les sujets de dissertation qu’elles fournissent régulièrement aux examens et aux concours : « Pauvre Muse, il lui survivait par la plume de deux bons siècles, elle qui lui préférait Musset, ce coiffeur sentimental. Ton Alfred, neuf cent douze mille entrées Google, et moi, huit millions deux cent vingt mille ! » Flaubert lit Flötberg en buvant du sauternes, et reste perplexe devant l’incipit de La femme qui voulait marcher dans le ciel avec des palmes : « Quand Klara débarqua dans le jardin, elle crut d’abord que l’homme dormait. » Étonné qu’on puisse débarquer sans bateau, il n’a vraiment pas fini de s’interroger : « Quinze millions d’exemplaires dans le monde ? Flaubert n’arrivait à se représenter ni le nombre, ni le monde. » Flötberg, de son côté fait découvrir Montaigne à Ouleymatou, une femme de chambre malienne de l’Hôtel du Louvre, ce qui ne manque pas, parfois, de la faire rire aux éclats.

L’ensemble se lit comme on mange un bonbon acidulé, pour retrouver le goût des jeux où rien n’est grave, et où ne compte que le plaisir de jouer