Dans un singulier récit autobiographique, l’auteur, né en 1976, année de l’exécution de Christian Ranucci, relate sa hantise de la guillotine, source de sa passion pour la Révolution française.

On connaissait déjà Christophe Bigot pour son roman L’Archange et le Procureur (Gallimard, 2008) où il s’intéressait aux relations complexes de Camille Desmoulins et de Saint-Just pendant la Révolution française. On lui doit aussi Le Bouffon de la montagne (La Martinière, 2016) qui traite d’une figure moins connue et moins glorieuse de cette période : Laurent Lecointre, « ce conventionnel à moitié fou, obsédé par la guillotine mais qui en réchappe ». Aux sources de ces deux romans historiques, il y a la conviction de l’auteur d’avoir été « guillotiné dans une vie antérieure », et de devoir l’être à nouveau, lui qui s’est même pris pour la réincarnation de Camille Desmoulins. Cette névrose infantile se déclenche lorsqu’à l’âge de six ans il voit à la télévision Le Chevalier de Maison-Rouge, l’adaptation par Claude Barma du roman d’Alexandre Dumas publié en 1846, et « reconnaît » la guillotine et toute son « horreur familière » sans se souvenir de l’avoir déjà vue.

 

Un autoportrait qui est aussi un portrait de la France des années 80 et 90

L’enfant grandit en banlieue dans une famille bourgeoise et catholique de professeurs d’anglais marquée à droite, ce qui donne lieu à ce passage savoureux : « Je me souviens du jour, durant la campagne présidentielle de 1988, où j’ai demandé à ma mère de m’expliquer la différence entre gauche et droite. Elle m’a dit en substance que la première s’attachait à la redistribution égalitaire des richesses, tandis que la seconde donnait plus à ceux qui avaient plus de mérite. "Mais alors, je suis de gauche ?", ai-je demandé, reconnaissant dans sa définition certains enseignements du catéchisme. Elle a essayé de reprendre son explication, mécontente du malentendu. »

Il fait sa communion le 4 juin 1989, pas « pour les cadeaux », mais « habité d’une foi pure et désintéressée ». Tout à son obsession, il prend un grand paquet rectangulaire pour une guillotine : il s’agit en fait d’un chevalet, ce qui le confond de honte. Pour le Bicentenaire de la Révolution, il monte une pièce de théâtre avec le professeur d’histoire de son collège. Il sera victime de « sabotage » de la part des rejetons d’une famille royaliste qui déboulent sur scène déguisés en Chouans et criant « Vive Dieu ! Vive le roi ! »

L’humour teinte souvent cette évocation de ses jeunes années où il est aussi « de [s]on temps » : en dehors de sa fascination pour Danton, Robespierre, Marat, Charlotte Corday et les autres, il se prend de passion pour le Top 50, interdit à la maison : « Mon ouïe folle de désir aspire le moindre couplet de chanson, me rendant incapable d’oublier une mélodie même entrécoutée, et faisant de ma cervelle, dès cette époque et pour toujours, une Babel de variétoches françaises et internationales, un patchwork de smarties pop, un jukebox apoplectique, prêt à démarrer au quart de tour. »

 

Une éducation sentimentale vers la gravité de l’âge adulte

Christophe Bigot dénigre Michel Leiris et l’angoisse de la castration qui alimente son autobiographie non sans une forme de complaisance. Il revient tardivement sur son jugement pour faire le rapport entre les cauchemars de son enfance et son homosexualité. Son passage à l’âge adulte se fait brutalement, avec la mort de sa mère, un 24 décembre : « Tout allait si bien. Et puis pan, la guillotine », résumera son père un an plus tard, en se remémorant leur « banale tragédie ». En outre, dans le monde contemporain, le fantasme de l’enfance est devenu un mode opératoire de l’État islamique : « Combien encore de Daniel Pearl ? Combien de Nick Berg, d’Hervé Gourdel, de David Haines et d’Alan Henning ? Combien de journalistes, d’humanitaires, de guides de montagne ou de simples touristes égorgés face caméra ? Est-ce que tout le monde ne le sent pas, que les barbares coupeurs de tête sont de nouveau parmi nous ? »

La deuxième partie du récit est consacrée à son éducation tout à la fois politique et intellectuelle. Le jeune homme intègre l’École normale supérieure, passe l’agrégation de lettres et commence, à l’été 2000, à écrire Calendriers terroristes : « Le roman se présente comme le journal d’un homme persuadé depuis l’enfance qu’il a été guillotiné dans une vie antérieure. Homosexuel solitaire et rongé par l’angoisse, il ne sort pas de chez lui. Écrivain impuissant, il prend des notes en vue d’une biographie romancée de Camille Desmoulins, personnage qui l’obsède. […] Mais je ne vais pas au bout de l’autobiographie, ni du roman. Le mélange des genres condamne mon travail à l’échec. »

Grâce à son sens aigu de l’analyse et de l’autodérision, son art de manier les références hétéroclites et sa lucidité, Christophe Bigot livre là un récit autobiographique très réussi, qui est aussi celui de ses années de formation à l’écriture, traversées par la violence d’un monde qui est aussi le nôtre.