Une réédition de deux colloques et un récit personnel d'un proche d'André Gorz, Christophe Fourel, nous permettent de redécouvrir ce penseur.

Voici dix ans qu’André Gorz et son épouse se sont donné la mort. Il était l’un des plus grands penseurs (et critiques) du capitalisme contemporain. A mes yeux, c’était le plus grand. Toujours est-il que, à cette occasion, sont réédités en un seul   les deux livres parus en 2013, suite à un Colloque sur Gorz. Le premier (André Gorz en personne) portait sur l’homme. Il s’est enrichi de plusieurs témoignages qui ne figuraient pas dans la publication originelle, notamment un texte de Serge Lafaurie, qui travaillait avec lui au Nouvel Observateur. Le second (Sortir du capitalisme : le scénario Gorz) porte sur l’œuvre de l’analyste critique de la société que fut André Gorz et inclut également des contributions qui ne figuraient pas dans la première édition (le texte d’Antonella Corsani sur le revenu d’existence, par exemple). Mais surtout, ce volume inclut, sous la forme d’un DVD, un passionnant débat entre Gorz et Jean-Baptiste de Foucauld, alors Commissaire au Plan, sur « le travail demain », débat qui fut diffusé en 1994 sur Arte. Christophe Fourel, qui a porté ce projet avec Alain Caillé, doit en être remercié et on peut être sûr que ce travail sera utile à tous ceux – et ils sont nombreux – qui ont cheminé pendant plus ou moins longtemps en s’aidant de la réflexion de Gorz.

Même si Lettre à G. est d’abord l’histoire d’une rencontre et d’une amitié, il est en fait bien plus que cela. Christophe Fourel a écrit une longue et émouvante lettre à celui qui aurait pu être son grand-père et avec lequel, au fil du temps, s’était tissée une « complicité » à la fois intellectuelle et personnelle. Il raconte comment cela s’est fait et comment cela a changé sa vie mais aussi sa façon de penser, au point que le théoricien est devenu, écrit-il, « le serrurier de ma pensée ». Sur cette trame très personnelle, Christophe Fourel a su éclairer la personne Gorz : pas seulement le penseur (« cette lettre n’est pas une épître aux gorziens »), mais surtout l’homme, tellement lié à son épouse que, tous deux, ils ont choisi d’abréger leur vie pour éviter la déchéance de la maladie dont elle souffrait. Au fil du texte, par touches imperceptibles, l’auteur fait allusion aux thèses « gorziennes » (que Gorz n’a cessé d’approfondir ou de nuancer, au besoin en rompant avec Marx et les marxistes, comme en témoigne sa position sur le revenu d’existence). Si bien que ce livre, court et remarquablement écrit, constitue en fait une bonne introduction pour se familiariser avec l’un des plus grands analystes de la société contemporaine

 

* Ce texte est composé de deux articles précédemment publiés par le magazine Alternatives Economiques, dans les numéros de décembre 2017 et janvier 2018.