Ou comment être un héros, quand l’héroïsme s’impose dès la naissance comme un destin à réaliser dans un monde où rien ne s’oppose aux concessions du quotidien ?

 

Après le succès de L’Origine de la violence, prix Renaudot du Livre de poche en 2010 (adapté au cinéma par Elie Chouraqui), Fabrice Humbert continue à s’interroger sur la violence, le déterminisme, l’Histoire, la transmission d’une génération à l’autre des névroses et des questionnements existentiels. Le protagoniste de son nouveau roman, Tristan Rivière, est le fils d’un héros de la Résistance, communiste, ouvrier chez Citroën et grand admirateur de Marcel Cerdan. Par son prénom et par son père, l’enfant est donc programmé pour devenir lui aussi un héros. Mais tout déraille quand il fuit sur le quai au lieu de rester dans la rame de métro où Bouli, son entraîneur de boxe, doit se battre avec trois individus qui le mettent dans le coma pour quelque temps. Commence alors un long cauchemar pour cet adolescent : mépris de son père, culpabilité, rumeur qui arrive aux oreilles de Sévérine, la plus belle fille de sa classe qu’il a réussi à séduire malgré sa timidité et qui l’abandonne à sa lâcheté sans voir qu’il s’agissait peut-être, tout simplement, d’un raisonnable instinct de survie… Il n’y a pas de place pour la nuance dans l’univers paternel, totalement manichéen.

 

Trente-huit secondes pour choisir sa vie : le roman des vies possibles

Une dizaine d’années plus tard, alors qu’il enseigne l’histoire dans un collège du 93, Tristan a enfin la possibilité de se racheter aux yeux de tous, et d’abord de lui-même, en sauvant Marie, nouvelle Iseut, d’une agression et sans doute d’un viol, un samedi soir, tard, dans le train qui le ramène d’une soirée chez deux collègues à Montmorency. Au moment où cinq voyous qui ont trop bu commencent à s’en prendre à elle, il réussit à l’exfiltrer du wagon et à la faire ainsi échapper à la tragédie qui l’attendait. L’habileté du romancier est de construire cette scène sur le modèle des récits pour enfants, les « livres dont vous êtes le héros ». À chaque scénario correspond une vie possible pour Tristan : la lâcheté, à nouveau, de ne pas intervenir et la vie terne qui va avec, le courage de s’interposer et la mort qui s’ensuit, et la solution habile et efficace qu’il invente en trente-huit-secondes et qui change le cours de son destin. Il devient Tristan-le-héros, épouse Marie, fille d’un député socialiste et d’une avocate d’affaires. Ils ont deux enfants à qui échoie à leur tour la question de l’héroïsme, non sans dégâts et fracas. « Il y a un moment à saisir, toujours, dans toute vie, et des années et des années plus tard, chacun est conscient du moment où sa vie s’est jouée ».

 

Un regard sur la banlieue et la politique de la ville

Aussi bien dans le collège Pablo-Picasso de Vinteuil, cette ville qui n’a de proustien que le nom, et dans laquelle se concentrent tous les problèmes de la banlieue d’aujourd’hui, dans une certaine presse, que comme maire de cette ville, Tristan parie sur « la puissance de la douceur ». Mais la violence le rattrape et le roman livre un regard sans complaisance sur la banlieue et la politique de la ville depuis une trentaine d’années, ainsi que sur la trahison des promesses de la gauche et les désillusions du socialisme. Le beau-père socialiste, qui n’est pas devenu ministre comme il l’espérait, finit ainsi par créer un fonds d’investissement immobilier à Londres et par gagner 60 millions d’euros par an… Tristan se sent trahi, comme Marcel Rivière au mariage de son fils où le couvert de chaque invité au restaurant coûtait 800 francs. Ce héros de notre temps le comprendra : on ne peut échapper ni aux rapports de force, ni à la loi du plus fort, et l’héroïsme est un poison toxique quand la vie réelle n’est jamais sous contrôle, soumise aux aléas et aux faiblesses de ce qui finit par composer une existence, fragile et précaire par définition, plutôt qu’un destin.