Le Parti communiste allemand, né de la défaite de 1918, a occupé une place centrale dans la politique allemande jusqu’en 1933.

Le Parti communiste allemand, le KPD, a été pendant une partie de l’entre-deux-guerres le plus important des mouvements de l’Internationale communiste. En conséquence, il a généré un nombre important de travaux et suscite encore aujourd’hui une abondante bibliographie. Cependant, en dehors de quelques livres ou souvenirs traduits en français, le lecteur francophone doit se satisfaire de publications en langue allemande et, parfois, en anglais : ainsi de Weimar Communism as Mass Movement 1918-1933, qui constitue une mise au point sur quelques aspects de la politique du KPD entre la fin de la Grande guerre et son écrasement par le pouvoir nazi. Les contributeurs y interrogent le communisme allemand de l’entre-deux-guerres au prisme du mouvement de masse, c’est-à-dire d’un parti et de ses nombreuses organisations auxiliaires lui permettant d’asseoir son contrôle sur des secteurs entiers de la société. Finalement le livre s'articule ainsi autour de deux grands thèmes : le KPD, d’une part, et les organisations auxiliaires, de l’autre.

 

Guerre et révolution

Fondé sur les ruines de l’Empire allemand aux lendemains de la Première Guerre mondiale, le KPD devient rapidement l’une des pièces maîtresses de l’Internationale communiste et, plus largement, de la stratégie des dirigeants communistes. Pour ces derniers, la révolution en Allemagne doit entraîner le reste du monde dans la révolution mondiale. Les révolutionnaires allemands tentent ainsi à deux reprises un soulèvement : le premier avec l’insurrection spartakiste de 1918/1919 et le second avec la tentative insurrectionnelle de 1923.

Plutôt que d’analyser le centre névralgique de la politique du KPD, les auteurs choisissent d’en présenter les aspérités et les dissidences, afin de prouver qu’en Allemagne un autre « communisme » aurait été possible. Par sa généalogie d’abord, ils insistent particulièrement sur les origines du KPD et le caractère composite des courants qui ont conduit à la formation du KPD, le rôle d’individualités aux parcours et aux profils aussi différents que Karl Radek, Karl Liebknecht, mais aussi des militants moins connus du grand public francophone comme Alfred Henke – l’un des fondateurs du Parti Social Démocrate (SPD) dissident, l’USPD   – et surtout de Johann Knieff, enseignant, fondateur de l’éphémère Internationale des communistes d’Allemagne (IKD). Celui-ci rejoint le KPD quelque temps avant sa mort (d’une péritonite). Le rôle principal joué dans la fondation du KPD est bien sûr attribué aux Spartakistes regroupés autour de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht.

 

Un Parti normalisateur

Né dans le sang, le KPD connaît une multitude de crises et d’exclusions en raison de son hétérogénéité. La politique du front unique initiée par le premier dirigeant du parti, Ernst Meyer, crée une double défiance dans les rangs du Parti, mais aussi chez des alliés supposés, considérés – encore jusqu'à récemment – comme des ennemis jurés : les sociaux-démocrates. La mise en place de cette politique de rassemblement favorise l’émergence d’une opposition de gauche dans le KPD, à Berlin notamment. La ligne Meyer, favorable à l'alliance par le bas avec les socialistes, crée aussi les conditions de la crise entre Ruth Fisher, qui est hostile à cette alliance, et la direction du KPD et celle de l’Internationale, qui obtient la destitution de cette nouvelle opposante et favorise en même temps la montée de jeunes cadres du Parti à Hambourg autour du futur patron du KPD, Ernst Thälmann. Ce dernier impose la ligne classe contre classe et lamine systématiquement les autres oppositions, comme le montre l’article autour de l’exclusion des militants de gauche du KPD. Cette politique est en grande partie responsable de l’effondrement consécutif de la République de Weimar.

 

Une politique sociale

La deuxième partie de l’ouvrage s’attarde à montrer l’ancrage social du KPD à partir de son implantation chez les métallurgistes et chez les dockers. Ainsi un des contributeurs offre une analyse de la résistance à la montée du nazisme chez ces métallurgistes à Berlin. Les cellules du Parti étaient relativement nombreuses dans ce secteur d’activité. Le parti annonçait un chiffre supérieur à 10 000 membres. Ils étaient organisés en tendance au sein de la centrale syndicale l’ADGB. Si jusqu’en 1933, les métallurgistes livrent une guerre fratricide aux sociaux-démocrates, ils sont contraints et forcés à l’alliance après l’accession d’Hitler au pouvoir et tentent de créer des formes d’action unitaires, très vite réprimées par la police politique nazi.

Cette partie dévoile également les angles morts de la politique du KPD, tels que l’absence de réflexion sur le monde paysan : le KPD n’a jamais réussi à organiser les paysans et s’est contenté de déclarations de principe sur ce groupe social. Inversement, le KPD a été surreprésenté chez les artistes et les intellectuels : les exemples données abondent, qu’ils soient connus - comme ceux de Käthe Kollwitz, Bertold Brecht et Georg Lukacs - ou non, ce qui explique en partie l’image tronquée que ce parti offre dans les mémoires et les représentations.

 

Finalement, en dépit d’articles particulièrement intéressants, l’on regrettera le caractère partisan de certains textes, à l’image de celui qui présente de façon évidemment biaisée Willy Münzemberg comme un propagandiste génial et non comme l'idéologue qu'il fut : la force toujours vive des engagements militants dénature l’importance d'un livre qui, malgré cela, fera date