Trois jeunes auteurs chrétiens proposent une alternative politico-religieuse au catholicisme conservateur qui s’installe dans la société contemporaine

Parmi les nombreux ouvrages qui parsèment les étals des librairies en cette rentrée 2017, Plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien, co-écrit par Pierre-Louis Choquet, Jean-Victor Élie et Anne Guillard   n’est pas l’essai le moins intéressant. Ces trois jeunes auteurs sont des « catholiques d’ouverture » qui s’inquiètent de la montée en puissance d’un « catholicisme d’identité »   , correspondant à une position politique libérale-conservatrice, et qui proposent une réponse politique et théologique à ce phénomène social. Loin du souci de faire polémique, l’opuscule est traversé par un véritable souffle d’espérance, comme en témoigne son exergue, extrait du poème « Demain » de Robert Desnos. La structure de l’essai est absolument limpide : dans la première partie, les auteurs font le constat du retour des « catholiques d’identité » en politique ; dans la deuxième partie, ils formulent « une autre manière d’envisager l’expérience spirituelle que peut proposer le christianisme aujourd’hui »   ; enfin, dans la dernière partie, ils s’emploient à repérer des lieux d’engagement possibles pour les chrétiens dans la société contemporaine, où s’entremêlent toujours l’écologique et le social.

 

Un nouveau tournant conservateur

Depuis 2012, les signes de la montée en puissance d’un catholicisme conservateur se multiplient et les auteurs les repèrent aisément : manifestations contre le mariage pour tous, rapprochements entre certains évêques et des personnalités politiques d’extrême-droite, puissance du vote des catholiques en faveur de François Fillon au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Cette analyse sociologique n’aurait rien de singulier si elle n’était pas remise en perspective historique : en effet, les auteurs montrent comment ce catholicisme d’identité s’origine dans la Révolution française, au moment de la Constitution civile du clergé (1790), où l’Église française se divise entre prêtres sermentés et prêtres insermentés. Bien que les catholiques de France se soient progressivement ralliés à la République, les auteurs notent que « la gauche est toujours restée suspecte d’anticléricalisme »   , notamment à cause de l’influence du marxisme, souvent réduit à une seule proposition : « La religion est l’opium du peuple. » (Marx) Le poids de l’histoire et l’état de la société contemporaine conduisent aujourd’hui de nombreux catholiques, et particulièrement les jeunes, à rejeter la modernité sous des masques parfois sympathiques : tel est le cas de la revue Limite dont les auteurs mettent au jour le principe de fonctionnement   . Cette revue, qui prétend faire de « l’écologie intégrale », revendique l’héritage de multiples auteurs qui ne sont jamais discutés mais brandis « comme des autorités morales »   afin de faire une critique externe de la société moderne et de ses « dérives morales » : les auteurs analysent notamment la façon dont le féminisme est détourné par Marianne Durano et Eugénie Bastié au profit d’un « catéchisme sexuel »   profondément réactionnaire.

 

Pour un « christianisme de l’inachèvement »

Cependant, les auteurs ne s’en tiennent pas à une critique qui viserait juste mais ne porterait pas loin : ils offrent une véritable réponse au catholicisme d’identité qui montre comment est possible aujourd’hui un catholicisme sincèrement ouvert. Par leurs analyses très fines démontrant la qualité de leurs lectures, les auteurs proposent la voie d’un « christianisme de l’inachèvement »   qui invente un nouveau mode d’être chrétien dans l’« âge séculier »   ). Ce mode de christianisme implique d’abord de transformer profondément l’image d’un Dieu tout-puissant et de lui substituer celle d’un Dieu qui, dans le Premier Testament, se révèle dans le « murmure d’une brise légère »   et qui, dans le Second Testament, meurt sur une croix. Cette image d’un Dieu humble n’est pas du tout nouvelle : elle est même antérieure à celle du Dieu tout-puissant et n’a été mise de côté qu’à partir du moment où le christianisme devint religion d’État ; la substitution d’une image de Dieu à une autre marque le passage du « temps apostolique » à « l’ère ecclésiale »   . Le christianisme devient ainsi la religion des puissants, mais le christianisme des pauvres renaît de façon dispersée, notamment dans les monastères bénédictins ou dans les communautés franciscaines, ainsi que chez certains mystiques. L’avènement de la modernité, qui est un « désenchantement du monde »   , met à mal la figure du Dieu tout-puissant et l’expérience du mal absolu, notamment au XXe siècle, en vient presque à bout. Pour les chrétiens, la figure d’un Dieu relationnel est donc beaucoup plus évidente aujourd’hui, et devrait conduire à une nouvelle attitude d’engagement : « dans l’expérience, la foi peut [...] devenir un pouvoir d’action qui fonde et nourrit une existence »   .

 

Ecologie et spiritualité

La dernière partie de l’essai montre quelles directions peut prendre l’engagement chrétien aujourd’hui : permettre « le libre développement de chacun sur une Terre habitable par tous »   ; il s’agit humblement « d’agir en tant que cette possibilité est déjà réalisée »   . Les auteurs partent du constat de la crise écologique et, faisant leurs les mots du pape François, posent « qu’aucune forme de sagesse ne peut être laissée de côté »   pour la résoudre. Les auteurs dégagent avec insistance la perspective « œcuménique »   de leur engagement : il ne s’agit pas de rabattre les militants écologistes vers les églises, mais d’œuvrer à l’invention d’une société écologique moderne, qui respecte la liberté de conscience de chacun. Ainsi, pour les auteurs, il est « crucial que nous, chrétiens, soyons prêts à nouer la discussion avec celles et ceux qui, bien souvent, nous ont précédés dans les combats pour la préservation du milieu naturel »   , bien que les chrétiens aient aussi quelque chose à apporter, et notamment une vision particulièrement incarnée de la Création. Il est donc clair que, quelle que soit sa traduction pratique, l’engagement que proposent ces jeunes chrétiens sera fondamentalement écologique ; ils proposent de lui donner trois directions qui donnent leurs titres aux trois dernières sections de l’essai : « agir collectivement sur nos conditions d’existence », « articuler le social et l’écologique » et « retrouver le sens de l’hospitalité ». Ils réussissent la prouesse de ne pas donner trop de force polémique à ces mots d’ordre en leur conférant toujours une véritable consistance philosophique et spirituelle.

 

Ce Plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien est donc une sorte de manifeste en faveur d’un « christianisme d’ouverture » écrits par trois jeunes chrétiens, visiblement fatigués de voir les « catholiques d’identité » monopoliser l’espace public : il confortera dans leurs convictions les chrétiens qui partagent leur point de vue, mais il intéressera aussi tous ceux qui regardent ces débats de l’extérieur, car il se hisse à une hauteur impressionnante par la qualité de ses arguments et par la force qui en émane, laquelle n’est peut-être, au fond, que « la joie de l’espérance »