Dix années auprès de Nicolas Sarkozy :  un éclairage clinique et inquiétant sur le personnage et une réflexion sur le métier de journaliste politique.

Il était une fois un journaliste usé, Philippe Ridet. Un journaliste animalier, spécialiste d’une espèce rare, le Sarkozy. Un journaliste en plein doute qui s’interroge sur ses dix ans de travail et de vie commune aux côtés de celui qui est devenu notre président. 

Bien écrit, évidemment bien informé et bourré d’anecdotes, ce  livre, à mi-chemin de la confession et de l’étude sur le métier de journaliste politique, renseigne plus sur l’auteur que sur son objet et laisse une impression étrange. Mais que veut donc nous raconter Philippe Ridet ? Tentative de décryptage.


Le président et lui

Plus de dix années de bons et loyaux services, dix années de tutoiement (Ridet assume), dix années à se faire appeler "mon vieux compère", dix années de coups de fil perso plus étonnants les uns que les autres, dix années d’invitations à dîner lancées par Sarkozy mais refusées par Cécilia, dix années de faux off distillés au compte-gouttes, dix années d’apparente complicité, dix années d’humiliation. Tout ça pour un homme, comme le dit Ridet, qui "n’était même pas mon genre".

Masochisme ou admiration ? Complice ou victime de son objet d’étude? Ridet lui-même n’a pas de réponse. Les questions donc subsistent.

Comment  Ridet, journaliste à l’ancienne suffisamment armé pour ne pas céder à la connivence, a-t-il pu plonger dans cette relation au point de se décrire en addict qui doit renoncer à son sujet comme on arrête la cigarette ?

Comment Ridet a-t-il accepté de se faire traiter de charognard aux Baux de Provence en avril 2007 ?

Pourquoi Ridet a-t-il autant de haine à l’égard des médias Internet et de la blogosphère qui osent sortir les infos que lui refuse de publier dans Le Monde ?

Pourquoi Ridet ne réagit-il pas quand Sarkozy lui reproche son inélégance suite à une question posée sur Cécilia lors d’une conférence de presse à Lisbonne ?

Et surtout pourquoi Ridet ressent-il une espèce de jalousie quand le Sarkozy président lui accorde moins d’attention ?

Un échange résume assez bien la situation. Sarkozy vient d’être élu et retrouve Ridet pour la première fois :
 
N.S. : "Je voulais te remercier d’avoir suivi mon élection et te saluer si tu arrêtes.
Ph.R. : Non je continue à l’Élysée.
N.S. : Dans ce cas c’est très bien.
Ph.R. : Dois-je te vouvoyer ? 
N.S. : Tu rigoles."

Mais derrière ce jeu de séduction se pose une question qui dépasse le cas Ridet : à quoi sert un journaliste si Sarkozy lui-même se charge de tout ?


Les Productions Sarkozy

Une info à faire passer ? Sarkozy appelle le journaliste et choisit donc le média auquel il souhaite se confier.

Un off à laisser publier lors d’un déplacement ? Rien de plus simple, il vous convoque à l’arrière de l’avion et vous le sert sur un plateau.

Besoin d’une belle photo ou d’un beau plan pour le 20h ? Pas de soucis, vous vous retrouvez sur une pirogue en Guyane ou sur une charrette en Camargue.

Par contre si vous comptiez aborder son seul problème "Cécilia", alors là, vous avez le droit à un coup de fil du producteur en chef qui vous demande d’oublier immédiatement cette mauvaise idée.

Ridet nomme ces procédés les "productions Sarkozy". Et comme dans une fête de fin de tournage, le producteur n’oublie pas de féliciter ses acteurs. La scène se déroule lors de la cérémonie des vœux à la presse dans une petite salle.

N.S. : "Je voulais vous remercier. Je n’ai pas eu que des satisfactions avec vous.  Remercier un journaliste, comment faire ? Vous remercier pourquoi ?"

Pour services rendus ?


Et Lui dans tout ça ?

Après tout c’est quand même Lui, le candidat, Lui le président. Et c’est dans cette description que Ridet excelle pour nous offrir avec subtilité un éclairage clinique et inquiétant sur le spécimen Sarkozy.

Un Sarkozy, solitaire qui confie n’avoir que des collaborateurs mais aucun ami. Un Sarkozy qui s’ennuie au point de demander à Raphaëlle Bacqué de l’inviter à des soirées. Un Sarkozy sous influence cécilienne, Cécilia faisant la pluie et le beau temps dans l’entourage de son Homme. Un Sarkozy qui décrit son état d’esprit à quelques jours du second tour: "Enthousiasme nul, plaisir zéro".  Un Sarkozy qui sort Anne Fulda (journaliste au Figaro) comme un trophée de chasse. Un Sarkozy  qui passe un réveillon que l’on imagine surréaliste avec le couple Guéant et le couple…Bigard.  Enfin, et surtout, un Sarkozy qui veut "faire président" avant de "faire avocat" parce que ça rapporte plus d’argent.  


Flagrant délit et mauvaise conscience

Mais, finalement, ce qui résume le plus le trouble et la mélancolie qui se dégage de ce livre est une photo ou plutôt une scène de vie que l’on retrouve en couverture du livre. Au centre, Sarkozy, les mains jointes. Autour de lui, une foule souriante visiblement ravie d’être aux premières loges. Et dans ce public, des journalistes comme Caroline Roux (Canal Plus) ou Philippe Ridet, mais aussi Claude Guéant, à l’époque directeur de campagne du candidat, ou Luc Chatel. Tous dans la même position, avec le même regard, le même sourire. Ridet lui-même reconnaît cette gêne, parle de syndrome de Stockholm et conclut : "j’étais fait aux pattes".

La question centrale est donc là dans ce mélange des genres, dans ce casting, dans ce "mini panel de Français" comme dit Ridet. Cette question qui se trouve au cœur du livre et des doutes de l’auteur : qui est qui et qui fait quoi ? Seule manque la réponse.

En attendant de la trouver, Philippe Ridet a décidé de changer d’affectation et s’apprête à devenir correspondant à Rome. Méfiance : là-bas aussi existe un Sarkozy, il se nomme Berlusconi.


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Crédit photo : gunthert / flickr.com