400 pages pour une histoire de l’Humanité, qui soit aussi une histoire de l’environnement, le tout adapté pour le grand public.

400 pages pour une histoire de l’Humanité, qui soit aussi une histoire de l’environnement, le tout adapté pour le grand public : ce livre se présente comme un vrai défi, et il coche l’essentiel des cases. D’abord, il est agréable à lire, vivant, tenu de chapitre en chapitre par des micro-histoires et des anecdotes. Ensuite, il absorbe l’essentiel des livres majeurs qui ont forgé depuis quarante ans le champ de l’histoire globale, un champ auquel l’auteur était bien préparé puisqu’il a déjà coordonné une Histoire globale en 2008. Enfin il aborde la question environnementale sous un angle militant : on y voit les humains parfois co-évoluer avec leur environnement, souvent le détruire, rarement l’entretenir, au fil de sept grandes révolutions.

 

Révolution biologique, cognitive, agricole

La « Révolution biologique » marque l’apparition d’un primate bipède, dont la ligne diverge de celle des chimpanzés il y a 6 millions d’années. Toumaï, nom d’un squelette découvert au Tchad en 2001, en est le plus vieux représentant connu. Ce bipède se transforme, se dote d’un organisme optimisé pour la course : pied plat, tendon d’Achille développé, contrôle musculaire de la respiration. Il devient également omnivore, ce qui lui permet de conquérir de nouvelles niches écologiques, et son cerveau se développe, réclamant désormais 25% de sa dépense énergétique.

La deuxième Révolution est présentée comme « cognitive », et concerne les différentes branches d’hominidés dont les sapiens ne sont alors que l’un des représentants. Plusieurs nouveautés viennent transformer les conditions de vie. Le feu, dont on a des traces il y a 800 000 ans en Chine, le langage, qui permet de renforcer la cohésion du groupe, et l’art, probablement co-inventé dans plusieurs régions puisqu’on retrouve des grottes rupestres datant de 40 000 avant notre ère en Europe, en Indonésie et en Australie. Les différents groupes d’hominidés sont alors en compétition, et la génétique évolutive a récemment prouvé que ces groupes étaient également inter-reproductibles.

La révolution suivante est agricole : elle correspond au Néolithique, qui voit la domestication par l’homme, en différents points de la planète du blé, riz, sorgo, millet, maïs, patate, manioc etc… qui sont alors modifiés par sélection génétique pour devenir plus nourrissants, tout en dépendant de l’homme pour leur culture. Les céréales pouvaient être déjà consommées auparavant par des chasseurs-cueilleurs nomades, mais le mode de vie qui se met en place à partir de 12 000 avant notre ère est sédentaire : chasse et cueillette sont maintenus, mais les habitations sont désormais liées aux cultures. Les densités croissent, passant de peut-être 50 ou 100 millions d’habitants sur la planète à 200 ou 250 millions au 4e millénaire. Mais les conditions de vie se détériorent avec le développement de l’agriculture. Les hommes du Néolithique souffrent d’ostéoporose et mesurent en moyenne 1,63m au Proche-Orient en 7 000 avant notre ère : c’est 10 cm de moins que les chasseurs cueilleurs.

La révolution agricole correspond aussi à la domestication des premiers animaux : le loup depuis déjà 18 000 avant notre ère, mais aussi désormais le sanglier, qui ne ressemble pas à nos cochons roses avant que cette espèce-ci ne soit importée de Chine au XVIIIe siècle, mais aussi l’auroch, qui ne survit plus aujourd’hui que par croisement avec des vaches. L’apparition de cette nouvelle faune apprivoisée ne s’explique que par la disparition de la précédente. Lors de la dernière période glacière, entre 100 000 et 10 000 ans avant notre ère, la taille des mammifères avait augmenté au point de donner naissance à une « mégafaune », que les hommes ont chassé jusqu’à l’extinction, et dont les derniers spécimens, baleines ou éléphants, achèvent aujourd’hui de disparaître.

Cette paléo-histoire a donc largement évolué depuis trois décennies : on ne raconte plus la préhistoire aujourd’hui comme on la racontait dans les années 1980. Et il est probable que d’autres découvertes viendront bouleverser le récit qui se met progressivement en place. La suite en revanche est mieux connue : l’invention de l’écriture au IVe millénaire avant notre ère, qui correspond aussi à la domestication du cheval et à l’apparition de la roue, l’entrée dans l’âge du bronze puis du fer qui achève doter les armées d’outils de destruction perfectionnés : c’est une histoire plus conventionnelle, même racontée de manière globale et sous l’angle de la pression sur les ressources.

Révolution morale et révolution énergétique

La « Révolution morale » décrit le développement des religions, contemporain du développement des monnaies, et se poursuit à travers ce que nous appelons généralement l’histoire médiévale et moderne jusqu’à l’avènement de la révolution énergétique vers 1800. C’est le passage de l'ouvrage où le fil environnemental se perd le plus, car l’accent est mis sur les évolutions culturelles, religieuses et philosophiques, d’Akhenaton à l’islam, d’Épicure à Ibn Khaldun : on aurait préféré en savoir plus sur les moulins et la gestion des forêts. L'auteur passe très vite sur plusieurs éléments, dans une tentation de l'histoire globale qui survole les faits sans jamais creuser les causes. Ce sont aussi les chapitres les moins originaux ; la littérature indirecte se devine là plus qu'ailleurs, et l'on repère facilement les emprunts aux ouvrages de François-Xavier Fauvelle-Aymar, Serge Gruzinski, Timothy Brook, Peka Hämälainen, et Denis Crouzet pour ne citer qu'eux. Le lecteur familier de ces ouvrages aura souvent une impression diffuse de familiarité, qui n'aide guère à suivre le fil de ces chapitres. De bons passages tiennent pourtant l’ensemble : sur les infrastructures routières et hydrauliques dont se dotent les empires romain et Han ; sur la « révolution verte » islamique   , qui permet la circulation des plantes dans toute la zone musulmane ; ou encore sur l’agroforesterie pratiquée dans le bassins de l’Amazone avant l’arrivée des Européens, permettant à 5 ou 10 millions d’habitant de s’alimenter dans une région dominée par la forêt, en enrichissant le sol qui constitue aujourd’hui la base de la forêt amazonienne.

La trame reprend vraiment lorsque les problématiques sont unifiées par le « Grand Désenclavement », c’est-à-dire le début de la conquête du monde par une population d’origine européenne, par ses germes, et par ses modes de culture, tandis que les plantes circulent désormais dans des espaces impériaux. Les peut-être 60 millions d’Amérindiens disparaissent à 90 % avant la fin du XVIe siècle, et la biodiversité va suivre, en diminuant drastiquement par la diffusion volontaire ou involontaire d’espèces. Les microbes sont alors un véritable « agent de géopolitique »   . Ceux d’Eufrasie, variole, typhus, pneumonie, rougeole, tuberculose… qui ont coévolué avec les populations, déciment aussi bien l’Amérique que plus tard les îles du Pacifique avant que des formes d’immunité n’y apparaissent. Quant à la fièvre jaune et au paludisme, véhiculés par les moustiques, ils sont les remparts efficaces des Caraïbes et de l’Amérique du Sud contre des troupes métropolitaines non immunisées jusqu’à la découverte de la quinine au XVIIe siècle et à sa mise en culture en Inde et surtout en Indonésie. La croissance démographique reprend, dopée par la patate, le maïs, les haricots, etc., en Europe mais aussi en Chine, où les Hans s’étendent vers l’Ouest au détriment des Ouïghours et d’autres populations aujourd’hui disparues ou minoritaires.

Cette croissance s’accélère pendant la « Révolution énergétique ». À la fin XVIIe-début XVIIIe siècle, l’invention du moteur à combustion donne l’avantage à l’Angleterre, dotée d’énormes réserves de charbon. Le monde s’industrialise. La Seconde Guerre Mondiale est la première guerre où le nombre de tués par les armes excède le nombre de tués par la faim ou par la maladie. Dans le même temps le monde se tourne vers les hydrocarbures, et ce nouveau régime énergétique exige la concentration de capitaux, ce qui précipite également des évolutions politiques. À partir de là, le développement tient davantage du plaidoyer politique.

 

Révolution numérique et révolution évolutive

Les deux dernières révolutions : internet depuis les années 1990, puis les manipulations du vivant et le poids de la biochimie aujourd’hui, relèvent en effet plus de l’essai. Laurent Testot cite dans ces pages plus de science-fiction que de sociologie, et ses références sont des auteurs engagés, notamment Theo Colborn, biologiste qui a démontré les effets néfastes des perturbateurs endocriniens, et dont les travaux sont connus en français par L’Homme en voie de disparition   , et Naomi Klein, politologue qui dénonce la mise en place depuis les années 1980 d’un néolibéralisme de la catastrophe. Dans Tout peut changer   , elle propose un programme d’action dont Laurent Testot reprend à son compte certaines propositions en conclusion, parmi lesquelles : enfreindre les lois du néo-libéralisme ou encore faire de l’obsolescence programmée un délit. Dans les 100 dernières pages, l’histoire environnementale devient ainsi explicitement une histoire de combat.

 

Comment écrire l’histoire environnementale

Ce choix pose une question de méthode, qui est aussi un défi propre à l’histoire environnementale. Très simplement, si l’histoire est la recherche non déterministe des causes, alors l’histoire environnementale rappelle que la nature, de l’explosion volcanique au germe de la grippe, est un moteur essentiel de l’histoire. C’est un moteur formidable et omniprésent, que certains ont inclus très tôt dans leur vision de l’histoire, tel Ellsworth Huntinton avec Civilization and Climate en 1915, mais qui est tout de même resté minoritaire jusqu’aux années 1970 et 1980, avec les travaux de William Cronon ou d’Alfred Crosby. Le récit qui se forme doit alors naviguer entre facteurs politiques, économiques, culturels et environnementaux, et saisir les interactions entre ces pôles.

Laurent Testot ne tranche pas dans les interprétations qu’il expose. Et pourtant il fait des choix, notamment parmi les ouvrages contre lesquels ont pesé la critique déterministe. Il cite Timothy Mitchell, qui considère que le charbon a forgé dans les grèves ouvrières les bases de la démocratie, tandis que les États qui se développent à l’âge du pétrole sont de nature dictatoriale. Mais il écarte De l’inégalité parmi les sociétés   , dans lequel Jared Diamond postulait que la disposition de l’Eurasie, où des biotopes similaires s’allongent d’est en ouest et ont permis une circulation des gènes et des outils, suffisait à en expliquer les avantages techniques. Enfin, il évoque longuement la place des religions, mais sans préciser de manière claire leur rapport avec l’environnement. Car s’il reprend la thèse selon laquelle « les monothéismes consacrent l’homme comme dominant de la nature »((p. 137), il recule quelques pages plus loin face à tout lien systématique.

En fait, ce que l’on retrouve dans cet ouvrage, c’est une tentative de dosage entre le naturel et le culturel, où la volonté de relancer l’intérêt du lecteur a sûrement présidé à certains choix. Le récit s’arrête ainsi sur des évènements qui sont en train de s’imposer dans une histoire environnementale telle qu’elle se met en place actuellement. L’île de Pâques ou les Vikings, où l’on sent malgré les corrections effectuées par Laurent Testot toute l’influence qu’aura à long terme le livre de Jared Diamond Effondrement ; le dust bowl étatsunien des années 1930, qui est un héritage de l’histoire de la discipline ; l’échange colombien de la faune, de la flore et des microbes, dans un mouvement où se recoupent histoire environnementale et histoire globale, deux champs qui se sont mises en place dans les mêmes décennies.

Ce faisant, l'auteur s'adresse moins aux connaisseurs de ces questions qu'à ceux qui souhaitent les découvrir. C’est donc un livre utile, parce qu’il est important que la recherche en histoire environnementale, menée depuis désormais plus de quatre décennies, soit rapidement diffusée. Un seul problème se pose : à force de vouloir tout dire, on perd souvent la trame environnementale. Mais c’est moins le problème de ce livre, qui jongle assez bien d’un thème à l’autre, qu’un problème qui se pose à l’histoire environnementale en général : il s'agit en effet d'une discipline qui a développé ses propres outils, ses propres cas d’études, et qui va être appelée à produire une narration globale compréhensible, susceptible peut-être de passer dans l’enseignement. Il faudra donc faire certains choix d’exposé pour mettre l’environnement au centre de l’attention