L’encadrement des indemnités prud’homales est l’un des sujets qui suscite le plus d’opposition de la part des syndicats de salariés.

Au cœur de ce deuxième volet de notre chronique « Loi travail », qui entend décrypter les enjeux liés au projet de loi d’habilitation : le plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement injustifié.

 

A ce jour, les dommages et intérêts que sont susceptibles d’obtenir les salariés en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse peuvent varier dans des proportions importantes. L’incertitude ainsi créée dissuaderait, selon le gouvernement, les employeurs de recruter, en particulier dans les TPE et PME. Le projet de loi d’habilitation propose alors d’encadrer ces indemnités. Que faut-il en penser ?

 

Planchers et référentiels actuels

Le Code du travail prévoit un plancher minimum, pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, égal à six mois de salaires, pour tout salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté, dans les entreprises d’au moins onze salariés. La loi et la jurisprudence prévoient également des planchers, de six et douze mois selon le cas, en cas de nullité du licenciement, c’est-à-dire lorsqu’il y a atteinte à des droits et libertés fondamentales. Il existe par ailleurs un barème applicable lors de la phase de conciliation devant les prud’hommes, dont les montants s’étagent entre deux et vingt-quatre mois de salaire selon l’ancienneté du salarié. Enfin, il existe, depuis fin 2016, un référentiel indicatif, auquel peut se référer le juge prud’homal, dont les montants varient entre un mois d’indemnité pour moins d’un an d’ancienneté à 21,5 mois pour quarante-trois ans et plus d’ancienneté   .

L’encadrement des dommages et intérêts dus en cas de licenciement abusif viserait, selon l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi, à lever les freins au recrutement, en accroissant la prévisibilité des décisions rendues et en sécurisant les entreprises, notamment les TPE-PME, au regard des risques liés à la rupture du contrat de travail, ainsi qu’à renforcer l’égalité de traitement devant la justice et faciliter la résolution des litiges, notamment en incitant à la conciliation et en diminuant le taux d’appel   .

 

Plafonds et planchers

Selon différentes sources, le plafond envisagé pour l’instant par le gouvernement serait de un mois par année d’ancienneté, pouvant aller au maximum jusqu’à vingt mois. Le plancher pourrait quant à lui être fixé à un mois par année d’ancienneté jusqu’à trois ans d’ancienneté. Au-delà de trois ans, celui-ci resterait fixé à trois mois. Ce plancher reculerait ainsi significativement pour les entreprises de plus de onze salariés.

En contrepartie, l’exécutif aurait concédé aux syndicats une hausse des indemnités légales de licenciement, qui jusque-là n’étaient pas concernées. Elles représentent actuellement 1/5ème de mois par année d’ancienneté (au-delà de dix ans d’ancienneté, il faut ajouter 2/15ème de mois par année supplémentaire). Et, contrairement aux dommages et intérêts, elles seraient plus faibles en France que chez ses principaux voisins. Il faudrait toutefois une augmentation très forte de celles-ci pour compenser la baisse du plancher existant pour les salariés d’au moins deux ans d’ancienneté appartenant à une entreprise de plus de onze salariés. Et surtout cela concernerait un nombre de salariés beaucoup plus important (même si certains bénéficient d’indemnités conventionnelles plus élevées que les indemnités légales).

Le calcul est vite fait, et il est donc peu probable que le gouvernement persiste dans cette idée de fixer un nouveau plancher identique quelle que soit la taille de l’entreprise (à moins de vouloir courir le risque d’une opposition syndicale forte).

 

Plafonner les montants

Il est plus difficile d’évaluer les effets du plafonnement. Selon une étude de la chancellerie qui date de mai 2015, les montants de dommages alloués varient en moyenne entre 4,1 mois de salaire pour moins de deux ans d’ancienneté à 15,1 mois pour vingt ans d’ancienneté et plus. Dans cette étude, 14% des arrêts, concernant des salariés de plus de deux ans d’ancienneté, se soldent par une condamnation à verser deux ans de salaire et plus.

Les contestations devant les prud’hommes du motif du licenciement représentent moins de 200 000 salariés par an, dont un tiers probablement sont déboutés ou se voient opposer un refus d’indemnisation. Cela laisse de l’ordre de 20 000 salariés qui obtiennent des indemnités de plus de deux ans de salaire, à rapporter au million de licenciements et de ruptures conventionnelles que l’on enregistre par an, soit 2% seulement. Le taux ne laisse guère présager d’effet significatif sur les embauches. Ce qui rejoint le constat qu’en l’état actuel des connaissances, les modifications législatives des indemnités pour licenciement injustifié n’auraient que des effets négligeables sur l’emploi.

L’enjeu de cette mesure est ainsi plutôt dans la manière de repenser le droit du travail, que dans les effets à en attendre sur l’emploi : il s’agirait plutôt de substituer au droit du travail un droit du marché du travail, réglé sur les incitations au lieu de droits subjectifs (comme le droit à la réparation intégrale du préjudice subi).

 

Pour aller plus loin :

Gwenola Bargain et Tatiana Sachs, « La tentation du barème », Revue de Droit du travail, avril 2016

Evelyne Serverin, « Forfaits, minima, maxima, référentiels : les outils de la maîtrise des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuses », Revue de Droit du travail, octobre 2016