À l'Hôtel Salé, une soirée de plein air, donnée par la compagnie MPTA dans le cadre du festival Paris l'Eté (ex Paris Quartier d'Eté).

 

En cette fin de juillet, il fait encore jour quand les spectateurs sont invités à s'installer sur la pelouse du jardin du musée Picasso, ou à occuper les quelques chaises disposées autour, devant une étrange cage vide. Difficile de deviner à quoi nous attendre et ce qui nous sera montré. On annonce deux formes brèves, entre lesquelles est inséré un intermède musical.

 

Les rêves d'un homme en cage

Le premier spectacle, La Cabane aux fenêtres, interprété par Karim Messaoudi, commence donc alors que les spectateurs patientent face à la structure métallique rectangulaire. Un homme s'introduit et commence à se déplacer dans cet espace clos, mais ouvert aux quatre vents.  On dirait la forme d'une maison dont les murs ne seraient constitués que de fenêtres sans vitres, ni volets. C'est la « cabane aux fenêtres » qui donne son titre au spectacle ; c'est aussi une cage scénique qui n'a peut-être jamais aussi bien porté son nom.

Le sol, élastique, permet de rebondir comme sur un trampoline. L'un des murs a l'aspect d'un plancher. On aperçoit en haut un lampadaire qui semble emprunté à l'une des rues de la ville. Cette cabane étrange est le lieu de vie d'un homme dont on ne sait rien, dont on n'apprend pas grand chose et dont les propos sont indistincts. On l'observe cependant, tels des voyeurs attroupés sous ses fenêtres. Peu importe qu'aucune histoire lisible, au déroulement chronologique évident et aux péripéties claires, ne soit représentée. À regarder évoluer l'homme dans la cabane, il y a moins à comprendre qu'à rêver.

 

 

La Cabane aux fenêtres propose en effet de très belles séquences scéniques, souvent proches de la danse et toujours propices à la rêverie. L'homme peut rebondir, allongé de tout son long sur le sol de sa cabane, se déplaçant à chaque nouveau rebond pour tracer un cercle dont le centre est formé par une lampe suspendue au plafond : son corps évoque alors les aiguilles d'une montre marquant le passage des heures.

Il peut aussi grimper le long du mur-plancher. Il semble marcher à la verticale, en s'élevant et en avançant toujours plus haut, grâce à ses rebonds sur le sol élastique. Tel Sisyphe, il remonte au sommet d'un espace, non une lourde pierre, mais son propre corps, qu'il est condamné à laisser choir. Il s'agit moins alors de l'écoulement du temps que voulud'un cycle éternel.

Cette même chorégraphie verticale prend un autre sens avec l'insertion d'un vaste tissu blanc, qui se gonfle d'air et avec lequel l'homme poursuit ses tentatives d'ascension. On voyage avec lui en le voyant s'élancer, puis se laisser enfouir dans ce qui ressemble aux vagues d'une mer agitée, mais pourrait aussi bien être un nuage.

 

Incertitudes scénographiques

Avec ce spectacle poétique et ludique, la compagnie MPTA propose une expression de l'espace habitable, de sa perception et de son occupation par un corps. « J'en ai marre de vivre à plat, dans ma cabane en bois, je vivrai en volume. » (Italo Calvino, Le Baron perché, cité dans le programme), tel est le principe de cette expression. C'est bien tout le volume de la cage scénique qu'explore son habitant, qu'il se suspende au plafond, marche sur les murs ou s'élance aux fenêtres.

Mais l'espace est aussi celui dans lequel la cage elle-même est installée : le jardin, espace en plein air, ouvert sur le monde et aux bruits du monde (ceux des rues adjacentes, des voisins discutant à leurs fenêtres). On peut regretter qu'une telle liberté spatiale n'ait pas plus été mise à profit dans le dispositif scénographique. La scène-cabane, dont un seul mur est aveugle, et le lieu où elle est installée permettent en effet d'envisager un dispositif trifrontal, plutôt que le dispositif frontal qui lui a été préféré. Cela aurait pu contribuer à mettre davantage en valeur le travail sur le volume et l'exploration de l'espace, loin d'un monde applati par l'omniprésence des écrans.

 

 

Quelques spectateurs sont d'ailleurs placés, alignés, derrière l'une des fenêtres du fond de la scène, face au public. Mais il sembleraient presque être là par erreur ou par hasard. Le metteur en scène a-t-il voulu représenter au public son reflet déformé ? A-t-il souhaité l'inviter à déjouer les codes de la frontalité, dans une démarche restée inachevée ? Le parti pris n'est pas clair.

La soirée est pourtant conçue de façon à mobiliser le jardin qui l'accueille et les différents espaces qui peuvent y être imaginés. Ainsi, une fois l'homme sorti de sa cabane, les spectateurs eux-mêmes doivent se relever et se retourner pour s'approcher de la façade majestueuse de l'Hôtel Salé, qui abrite le musée Picasso. C'est bien eux qui, de fait, articulent les espaces de ce spectacle les uns aux autres.

A la tombée de la nuit, sur le perron de ce bel hôtel particulier du XVIIème siècle, un autre spectacle commence. Eclairée par la lumière chaude des projecteurs, alors que souffle un vent frais, la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton interprète la Cinquième suite pour violoncelle seul de Bach. Cette magnifique musicienne nous offre un moment rare et précieux, qui inscrit la temporalité dans l'ordre de l'harmonie et du rythme, tandis que l'espace se fige dans ce tableau architectural.

 

 

Il faut ensuite de nouveau se déplacer pour rejoindre le troisième espace scénique, une estrade sur laquelle est installée une roue, pour le dernier moment de la soirée : La Marche, spectacle créé par Mathurin Bolze en 2015. La roue est l'espace du marcheur, qui avance comme sur un trottoir roulant, se laisse emporter dans les airs, s'arrête, ôte ses affaires, repart, installe une chaise, reprend sa course à travers différents temps et lieux imaginaires, enfin sort de scène, laissant derrière lui une veste sur une chaise. Le marcheur évolue au son des Gnossiennes d'Erik Satie et des mots de Frédéric Gros, issus de l'introduction à la Petite bibliothèque du marcheur.

Le spectacle est poétique, mais moins surprenant que celui qui ouvrait la soirée. Le procédé est aussi moins audacieux, reposant beaucoup sur l'association un peu facile du texte enregistré, de la musique du piano et du jeu avec la roue.

Chaque moment de la soirée présente ses particularités, mais tous nous convient à un voyage poétique et onirique. On repart enchanté et on ne peut que saluer la formidable initiative qui consiste à inviter des circassiens et une musicienne par une si belle nuit d'été dans un jardin parisien.
 

La page d'accueil du site Paris l'Été.

(Crédit photos : Festival Paris l'Été)

 

                          Sonia Wieder-Atherton, Allemande, suite n°2, de JS Bach | Archive INA