Formes et évolutions de la direction d'orchestre au XIXe siècle.

L’ouvrage Maestro ! Dirigieren im 19. Jahrhundert réunit les actes d’un colloque international qui s’est tenu le 10 juin 2014 à Cologne sous la direction d’Alessandro Di Profio et Arnold Jacobshagen. Très vaste, le thème de la direction d’orchestre au XIXe siècle invitait d’une part à évoquer aussi bien les techniques de direction que le statut professionnel du chef d’orchestre, d’autre part à dégager une évolution globale tout en soulignant la diversité des pratiques d’une région à l’autre de l’Europe ainsi que l’héritage du XVIIIe siècle. Ces enjeux ont donné lieu à des contributions variées, réparties dans l’ouvrage selon une progression allant de la sociologie à l’esthétique, mais toujours dans une perspective historique.

 

Trois thématiques semblent en effet pouvoir être distinguées. Les trois premiers articles traitent plus spécifiquement du champ d’activités du chef d’orchestre en allant du général au particulier, avec pour fil conducteur l’émergence d’une direction incarnée dans une seule personne et non plus répartie entre plusieurs individus. L’article d’Arnold Jacobshagen « Positionen des Dirigierens. Zur Einführung »   part de la situation actuelle dans plusieurs salles allemandes en constatant une concentration des pouvoirs dans la figure du chef d’orchestre (désigné comme Generalmusikdirektor à l’opéra) placé au sommet de la hiérarchie au-dessus du chef de chœur ou encore des répétiteurs ; l’auteur montre ensuite en quoi cette situation est le produit de plusieurs tendances ayant coexisté au XIXe siècle, au début duquel la direction était généralement partagée par trois personnes : le Kapellmeister, le Konzertmeister et le Klavierdirigent ou Maestro al Cembalo, avec des variations d’un pays à l’autre. Les deux articles suivants développent cette idée en traitant de points plus spécifiques : Martin Fischer-Dieskau étudie le cas de l’Italie, pays dans lequel l’évolution du chef d’orchestre s’est déroulée plus lentement que dans le reste de l’Europe, et montre comment la figure du premier violon (Capo dorchestra) a progressivement pris le dessus sur celle du Maestro al Cembalo   . Carolin Bahr traite quant à elle de la sphère germanique à travers le cas particulier de Hummel en tant qu’il a contribué à renforcer le rôle du Kapellmeister alors qu’il exerçait cette fonction à Weimar tout en s’inscrivant dans des traditions remontant au siècle précédent   .

Les quatre contributions suivantes traitent davantage des techniques de direction selon des angles d’approche variés, permettant d’aborder notamment la question de la théorie et de la pédagogie à travers l’exemple de deux ouvrages : le manuel de Gassner Dirigent und Ripienist   et Le chef dorchestre de Berlioz, dans lequel la question de la disposition spatiale des instrumentistes joue un rôle important   . L’article de Nigel Simeone « Conductors at the Philharmonic Society in London during the 19th Century »   traite d’un orchestre londonien à la direction duquel de nombreux chefs internationaux se sont succédés en apportant chacun des techniques différentes, révélant la diversité des manières de diriger au XIXe siècle. De la même manière, l’exemple de Verdi choisi par Alessandro Di Profio donne à voir un musicien s’inspirant de qu’il observe dans différentes salles d’opéra italiennes et européennes pour forger sa propre conception de la direction où le chef doit contrôler tous les éléments de la représentation en vue de la cohérence dramatique   .

La question des styles de direction, relevant davantage de l’esthétique, est abordée dans les trois derniers articles. La contribution d’Antonio Rostagno montre que des spécificités régionales persistent au début du XXe siècle en définissant un style propre à l’Italie dont Toscanini serait l’aboutissement   ; dans l’article de Julian Caskel qui porte sur l’importance croissante de la dimension visuelle des gestes du chef dans leur relation avec l’orchestre mais aussi avec le public   comme dans celui d’Annette Kreutziger-Herr qui aborde la signification culturelle de la direction notamment dans ses rapports avec l’esthétique romantique, tout en traitant du problème de la place des femmes dans la profession   , c’est la question des représentations du chef d’orchestre qui est considérée.

 

Les dix articles constituent finalement un ensemble très riche, tant par la diversité des approches que par l’ampleur des sources présentées (iconographie, correspondance, ouvrages théoriques, documents administratifs, comptes rendus de concerts ou encore enregistrements). En faisant dialoguer exemples individuels et synthèses plus générales, histoire des idées et histoire des techniques, l’ouvrage nous présente dans toute leur complexité les étapes d’une évolution qu’on ne saurait réduire à un simple processus linéaire