Au théâtre de la Colline, Lourdes, une création psychédélique autour des astres et des désastres de la spiritualité. Par de jeunes artistes issus du Conservatoire.

 

 

Un drôle de pèlerinage

À l’entrée, chaque spectateur reçoit un câlin compassé de la part d’un des comédiens. On vous demande : « Vous connaissiez bien Gilbert ? ». Si vous avez un visage assez juvénile pour sembler être de la même génération que les artistes, l’on vous proposera de venir vous asseoir sur une rangée de bancs placée sur le côté de la scène.

La pièce commence : nous sommes aux funérailles d’un gynécologue décédé d’un cancer de la prostate prénommé Gilbert, fondateur et chef d’une communauté religieuse sectaire liée au christianisme.

Après que les jeunes spectateurs placés sur le côté de la scène se sont prosternés devant les cendres de Gilbert, ils sont renvoyés pour s’asseoir dans la salle. Alors, Camille (Camille Plocki), bras droit de Gilbert, lit son testament à Alice (Alice Berger), son ancienne secrétaire, et à Julie (Julie Julien), sa fille.

Gilbert lègue à Alice tous ses biens et la désigne pour prendre sa succession à la tête de la communauté, alors qu’elle ignorait tout des activités spirituelles de son employeur. Julie, déshéritée, n’obtient de son père que le « téléphone post-mortem » qui lui permettrait de parler avec le défunt. Enfin, Gilbert tient à ce que Camille, Julie et Alice se rendent à Lourdes, là où il eut sa révélation, afin d’initier Alice.

Malgré les réticences de Julie, les trois filles s’y rendent dans la voiture de Marie (Marie Zabukovec), une fidèle qui, entrée en transe, est désormais en connexion avec Gilbert. Sur place, elles rencontrent un étrange Monsieur Paul (Paul Toucang) et son associé (Raphaël Naasz) qui tiennent ensemble l’hôtel Soubirous. Ils vont alors essayer de déclencher « la merveille du spectacle » dans la grotte où la vierge (Grace Seri) leur apparaît, quand l’arrivée de l’assassin d’Emmanuel Macron (Maxime Le Gac-Olanié) provoque la panique. 
 

 

Une mise en scène simple et efficace 

Paul Toucang est issu du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (CNSAD) qu’il vient de quitter, et la pièce a d’abord été écrite puis montée au cours d’ateliers d’élèves.

Les éléments du décor sont minimalistes : la table qui portait au début les cendres de Gilbert se transforme en voiture pendant le trajet, puis un banc figure le lit de la chambre d’hôtel, et enfin, un rideau est simplement tendu au fond pour figurer les parois de la grotte. Il en résulte un effet de dépouillement qui met en valeur le texte et les comédiens.

Ces derniers ont tous l’énergie de la jeunesse et un jeu précis et subtil. Ils sont portés du début à la fin par une exaltation quasi mystique et communicative. La taille réduite de la salle permet en effet une grande proximité avec les acteurs. La participation du jeune public aidant, le spectateur a par moments l’impression d'être un tiers qui assiste aux soubresauts de cette expédition mystique.

Le texte oscille entre une grande tendresse et une ironie mordante à l’égard des personnages. Ils ne sont pas absolument ridicules, même si la pièce aspire à « corriger les mœurs en riant ». Mais en même temps, le spectateur est réellement affligé de voir des personnages qui, plutôt que ridicules, sont profondément pathétiques. Le regard que porte Paul Toucang sur le phénomène sectaire est moins une condamnation qu’une compassion.

Les répliques des comédiens se révèlent truffées de références à l’actualité, souvent très comiques, alternant entre de belles images poétiques et parfois des mots très crus, voire obscènes. La tension grandissante du début à la fin de la pièce ne cesse jamais, ce qui fait de ce spectacle une performance sans temps morts. Le spectateur s’en ressent et en ressort comme soufflé.

 

 

L’errance de l’amour

L’amour semble être au cœur de la mécanique déréglée du phénomène fanatique et sectaire. Les personnages parlent sans cesse de leur amour pour Gilbert, et de leurs déboires amoureux comme de leurs frustrations sexuelles.

L’amour est d’abord, par son absence, ou parce qu’il n’est pas comblé, un moteur qui pousse les membres de la secte à s’engager dans une relation passionnée d’admiration et de dépendance à leur chef. Malheureux dans leur existence, ils figurent les laissés-pour compte de la société, les marginaux qui n’ont pas su trouver leur place. Ils ont trouvé auprès de Gilbert un père et un sauveur, qui a extrait chacun du marasme de leur vie.

Mais cette transition de la frustration vers l’adoration religieuse d’un seul est payante. De personnes perdues et très malheureuses, les personnages évoluent vers un comportement dangereux qui les mène à commettre des actes qui leur coûteront leur vie.

C’est cette métamorphose de l’amour en grande passion désordonnée, voire pathologique, qui constitue la pierre angulaire de la psychologie des personnages.

Le simple fait d’écrire et de monter une pièce sur ce sujet exclut tout mépris à l’égard de ce genre de phénomène. Si l’on rit beaucoup de ce qu’il se dit sur scène, c’est aussi une défense contre le caractère effrayant de ce qui se déroule sous nos yeux. Plus qu’une satire, il s’agit d’une étude de cas.  On pense alors à une interprétation psychanalytique et au refuge dans l’illusion de la croyance. Les tâches d’une existence trop difficile laisse les âmes complètement démunies. Mais au fond ces personnages pourraient être vous ou moi, des gens très ordinaires et malchanceux.

La pièce de Paul Toucang nous invite donc à porter un regard sensible sur les dessous du phénomène religieux, qui, si l’on en croit Freud, a encore un long avenir devant lui.