Traduit pour la première fois en français par les éditions Monsieur Toussaint Louverture, Le Séducteur est le premier tome d’une trilogie publiée en Norvège au milieu des années quatre-vingt dix. Son succès a propulsé Jan Kjaerstad sur le devant de la scène intellectuelle scandinave, tandis que la trilogie a été adaptée au petit écran - un comble pour ce roman.

 

               

 

Jan Kjaerstad dépeint avec brio le mouvement presque insaisissable de la conscience de soi, à l’aune d’une Norvège en pleine mutation. La structure de son texte, tournant autour des souvenirs de Jonas, refuse toute identité préétablie. Qu’y a-t-il derrière ce visage aux milles facettes ? De l’imagination, avant tout.

 

Enchanteur malgré lui

Contrairement aux apparences, Le Séducteur du Norvégien Jan Kjaerstad ne s’attarde pas sur les états d’âme d’un Don Juan. Pas d’homme à femmes « au désir infini, à la concupiscence mêlant quelque chose de démoniaque à une pointe de duperie »   tel que le narrateur en dresse en quelques mots le cru portrait. Jonas Wergeland est tout le contraire d’un séducteur classique.

Magnétique, il attire des femmes des quatre coins du monde vers lui au gré de ses voyages, de Tombouctou à Paris, peu après avoir ressenti cet étrange frisson révélateur entre ses omoplates.

Sans même chercher à les séduire. Dans sa prime jeunesse, elles l’auront transformé pour faire de lui cet homme incontournable de l’histoire de la télévision norvégienne.

Et pourtant, Jonas Wergeland vient de découvrir son épouse morte, gisant sur la peau d’ours de leur salon. Auréolé d’une gloire nationale depuis le succès phénoménal de son émission Thinking Big, un nouveau concept de documentaire qui dresse le portrait de figures-clés de l’histoire de son pays, il sait que sa vie est maintenant sur le point de basculer. En alternant les récits de sa vie passée avec les quelques minutes qui suivent sa découverte du corps, un narrateur mystérieux prend le lecteur à parti pour comprendre les subtiles imbrications qui sont au fondement du personnage.

 

De l’art de s’enchevêtrer

Le procédé narratif du roman est pour le moins surprenant : pas moins d’une centaine d’anecdotes sur la vie du personnage sont enchevêtrées les unes dans les autres, l’une s’interrompant pour laisser place à l’autre et ne se finir qu’un temps plus tard.

Jonas Wergeland est un explorateur du monde : par un jeu de détours sans fin, le texte fait fi d’une chronologie de sa vie, pour ainsi ne pas enfermer son personnage dans une forme littéraire qui le définirait d’emblée. L’enchevêtrement de ses multiples facettes apparaît ainsi comme ce tapis persan, à l’image du recueil de contes des Mille et Une Nuits auquel la tante Laura fait si souvent allusion, sur lequel le lecteur peut voir une foule d’images à partir de fils aux couleurs et textures disparates tissés les uns par dessus les autres.

A l’exotisme de ces contes orientaux, composés eux aussi de récits enchâssés et de personnages se faisant miroir, l’on peut facilement dire que Le Séducteur peut réchauffer plus d’une contrée nordique. Le récit malicieux des aventures sexuelles de Jonas fait écho à une aventure plus grande que le personnage vit, celle d’une grande connaissance du monde boostée par une imagination sans équivoque : Jan Kjaerstad met en place un jeu d’imbrications des facettes de l’homme, comme autant de couches éparses d’un mille-feuille ou d’un Peer Gynt, ce héros dramatique norvégien qui remet en question l’idée d’une identité fixe. La conscience de Jonas s’affirme grâce au récit des femmes qu’il rencontre – avec qui les accouplements deviennent « ce point central autour duquel tout semble miraculeusement tourner »  

Riche d’une organicité qui lui est propre, les références spatiales et culturelles du texte foisonnent pour s’assembler elles aussi en un tout, et transforment Le Séducteur en un objet littéraire vivant, accrocheur, reflet des interconnexions magiques de notre univers

 

Le Séducteur

Jan Kjaerstad

Editions Monsieur Toussaint Louverture

2017, 598 p., 23 €