Une esquisse de politique économique alternative, autour de mesures de soutien à l’activité et à l’emploi.

L’ouvrage, qui est paru fin 2016, prolonge l’appel que le journal Le Monde avait publié en février 2016. Il fait suite à la journée de débats organisée à La Sorbonne au mois de mai, il y a un an. Ses auteurs regroupent une trentaine d’économistes de sensibilités diverses, dont un tiers appartiennent aux « Economistes atterrés », qui avaient été à l’origine de l’appel ci-dessus. Ceux-ci détaillent leurs propositions sur une dizaine de thèmes importants, dans des contributions de quelques pages chacune. La plupart argumentent en faveur de mesures de soutien à l’activité et à l’emploi, en faisant une place plus ou moins importante, selon les sujets traités, aux obstacles à surmonter et à la manière de s’y prendre pour pouvoir mettre en œuvre une telle politique. La taille des contributions ne permet guère aux auteurs d’exposer leurs propositions en détail, sauf à accepter d’être très allusifs, si bien qu’elles laissent parfois un goût d’inachevé. Cela d’autant que la plupart consacrent une part importante au constat, avant d’en tirer des préconisations. La cohérence de l’ensemble s’établit au niveau des grands piliers qui pourraient structurer une politique économique différente de celle qu’ont suivie les gouvernements qui se sont succédés depuis la crise de 2008. Car pour le reste on est encore très loin d’une alternative construite, qui nécessiterait une autre manière de travailler collectivement et d’exposer les résultats.

 

Les conditions de la transition énergétique

La première série de contributions est consacrée à la transition énergétique. Thomas Porcher montre que la logique de marché qu’a privilégiée la Commission européenne n’a pas permis d’enclencher cette transition, et il appelle celle-ci à desserrer ses règles budgétaires pour permettre aux Etats de lancer des politiques ambitieuses de développement des énergies renouvelables et d’amélioration de l’efficacité énergétique. Philippe Quirion explique que rien ne s’oppose véritablement à l’atteinte de l’objectif de 100% d’énergies renouvelables, qui devrait en outre s’accompagner de créations nettes d’emplois. Michel Aglietta revient sur l’échec du marché mondial des droits à polluer et les nouvelles orientations, qui résultent de la COP21, qui mettent l’accent sur l’évaluation du risque climatique et l’importance de investissements en faveur d’un développement bas carbone. Il montre qu’il en découle des questions cruciales concernant les dispositifs financiers et monétaires nouveaux à mettre en œuvre (par exemple pour porter les risques de ces nouveaux actifs carbone) et les moyens de faire en sorte que la décision politique intègre des horizons temporels lointains et les enjeux d’une coopération politique planétaire.

La contribution suivante est consacrée au secteur agricole et à la crise de l’élevage, notamment laitier. Thierry Pouch et Aurélie Trouvé relient celle-ci à la dérégulation du secteur et à la concurrence exacerbée qui y a désormais cours. Et défendent alors l’idée d’une re-régulation de l’ensemble des marchés agricoles.

 

Une finance mise au service de la société

Les contributions suivantes traitent de la finance et de la politique monétaire européenne et de la manière de (re)mettre celles-ci au service de l’investissement. Laurence Scialom et Yamina Tadjeddine défendent l’idée d’une séparation des activités financières et bancaires et la réorientation de ces dernières vers des engagements de long terme. Elles suggèrent d’amener certains acteurs financiers, assureurs et fonds de retraite notamment, à placer sur le long terme et selon des critères sociaux et écologiques. Et également de mobiliser davantage les banques publiques de développement dans l’orientation des financements vers des projets de ce type. Non sans chercher à faire en sorte que les circuits courts de financement puissent jouer un rôle plus important dans le financement des projets. Jézabel Couppey-Soubeyran déplore l’absence de Policy mix   en faveur de la relance dans la zone euro. Elle montre les limites de la politique monétaire suivie par la BCE et suggère également de réorienter celle-ci vers l’investissement productif de long terme. Hervé Sterdyniak, qui réagit aux deux contributions ci-dessus, plaide également en faveur d’une re-régulation des banques, mais aussi en faveur du développement d’un important secteur bancaire et financier, public ou coopératif. Et il insiste à son tour sur l’importance de contrôler l’orientation du crédit bancaire, en s’interrogeant sur les moyens de l’obtenir.

 

Les conditions d’une réindustrialisation 

Hervé Sterdyniak signe également la contribution suivante consacrée aux difficultés que rencontre depuis des années l’industrie française. Vis-à-vis desquelles, il appelle à un nouveau pacte productif en faveur de secteurs porteurs d’avenir, innovants et s’inscrivant dans la transition écologique et sociale. Un tel pacte permettrait notamment que les salariés, les collectivités locales, les clients et les fournisseurs aient davantage leur mot à dire dans les décisions des entreprises. Gabriel Colletis (Cf. l’entretien que celui-ci nous avait accordé en  2013) et Daniel Bachet argumentent dans le même sens. Aucun pays ne peut se développer ou simplement rester développé sans une base productive large et performante. En même temps, aucune réindustrialisation ne sera possible si l’on ne modifie pas radicalement le regard porté par la société sur le travail. Ce pour quoi il serait alors nécessaire de refonder les finalités de l’entreprise, de lui associer un nouveau cadre juridique et également de nouveaux outils comptables. Olivier Favereau ne dit pas autre chose, même s’il élargit le propos à l’ensemble des secteurs, puisqu’il propose de réinstaller le travail au cœur du système de gouvernance de l’entreprise et de réorienter le potentiel de création de celle-ci au service du bien commun. Cela après avoir montré, en s’appuyant sur l’économie des conventions, comment la financiarisation a conduit à tourner le dos à ces orientations.

 

Le fonctionnement de la zone euro

Les trois contributions suivantes sont consacrées à l’euro et à l’Europe. C’est clairement le sujet sur lequel les positions défendues par les auteurs dans l’ouvrage sont le plus hétérogènes, entre ceux qui pensent possible d’en amender le fonctionnement, ceux qui pensent qu’il faudra en passer par une crise et ceux qui plaident, avec plus ou moins de réserves, pour une sortie de l’euro. Eric Heyer, Mathieu Plane et Xavier Timbeau préconisent, dans un programme de réforme très ambitieux, de faire évoluer le fonctionnement de la zone euro : en lui donnant une vision de long terme en matière d’investissement, en revoyant les politiques salariales, en plaçant la BCE sous le contrôle d’une assemblée démocratique et en affirmant un droit des citoyens de la zone euro à continuer d’utiliser l’euro comme monnaie (y compris en cas de défaillance de leur Etat), en investissant fortement en faveur de la transition énergétique, en réduisant le fardeau de la dette des pays en crise et en mutualisant une partie des dettes publiques, en confortant les valeurs fondamentales de notre modèle social et en luttant contre l’évasion fiscale et le dumping fiscal. A côté de cela, Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak (qui assume décidément un rôle de référent dans l’ouvrage) défendent l’idée d’ouvrir une crise pour remettre l’Europe sur les rails, dans la mesure où tout changement d’orientation se heurte aujourd’hui, expliquent-ils, à l’opposition des technocrates et des classes dirigeantes. Enfin, Jacques Mazier défend quant à lui une sortie de l’euro, à la fois comme force de dissuasion dans la négociation sur une réforme du cadre institutionnel européen et comme plan B en cas d’échec, en examinant plusieurs régimes monétaires possibles et en cherchant à évaluer les difficultés que poserait cette sortie.

 

La place de l’impôt, de la dépense et de la dette publiques

Les contributions suivantes portent sur l’impôt la dépense publique et la dette publique. Philippe Légé et Sébastien Villemot rappellent les fonctions de l’impôt et plaident pour une réhabilitation de celui-ci face aux besoins sociaux et écologiques qui restent insatisfaits. Sa progressivité devrait être renforcée. Comme il devrait être mis davantage au service de la transition écologique. Ils insistent également sur la nécessité de mettre un terme à la concurrence et à l’évasion fiscales. Christophe Rameaux, dans une contribution qui n’hésite pas à prendre le contre-pied du discours le plus répandu, défend la dépense publique : il n’est pas correct de dire que celle-ci serait trop élevée ; la plus grande partie de la dépense publique soutient directement ou indirectement la dépense privée, etc. Enfin, Bruno Tinel, auteur d’un livre remarqué sur la dette publique   , rappelle l’incohérence à mettre en œuvre des mesures d’austérité budgétaire lorsque existent des capacités de production inemployées et des besoins d’investissement aussi importants afin d’amorcer la transition énergétique.

 

Quelles réformes pour l’emploi ?

Les contributions suivantes concernent les réformes qui devraient être menées en faveur de l’emploi. Olivier Alain préconise de résister à l’austérité salariale. La part salariale dans le revenu national est restée étonnamment stable en France de 1988 à 2008 ; la crise a ensuite provoqué une remontée de celle-ci jusqu’en 2014, mais qui s’est inversée ensuite, si bien qu’elle a presque retrouvé le niveau d’avant la crise. Si l’on considère les données empiriques, la zone euro et les grands pays qui la composent ont des économies tirées par les salaires, plutôt que tirées par les profits. Il convient d’en tenir compte si l’on veut redynamiser l’activité, et donc éviter toute austérité salariale. Mathilde Guergoat-Larivière et Rémi Bazillier nous invitent à voir dans la réduction du temps de travail – dans une situation de croissance durablement faible – un outil pour lutter contre le chômage et les inégalités. Ils préconisent ainsi, à court terme, une plus grande modulation du temps de travail à temps plein, en fonction des différents temps de vie. Et, à moyen terme, une nouvelle réduction collective significative du temps de travail, qui oblige à des changements organisationnels. Christophe Rameaux explique dans la contribution qui suit que pour pouvoir être financée, d’une part, et parce qu’elle ne suffira pas à réduire significativement le chômage, d’autre part, il sera nécessaire de coupler la réduction du temps de travail avec une relance de l’activité, centrée sur les besoins écologiques et sociaux. La contribution suivante porte sur le droit du travail. Anne Eydoux, Anne Fretel et Thierry Kirat rappellent que l’assouplissement en la matière, qui s’est poursuivi toutes ces dernières années (jusqu’à la loi Travail), a été sans effet sur l’emploi. Ce qui devrait conduire à chercher à restabiliser l’emploi au contraire, comme moyen de favoriser la productivité du travail et la compétitivité.

 

Quelle place pour la solidarité ?

Les contributions suivantes interrogent toutes à un titre ou à un autre la solidarité. Hervé Defalvard, dans une contribution un peu décalée par rapport aux autres contributions du livre, explore la manière dont le modèle du commun centré sur des ressources sociales (santé, éducation, emploi, logement, etc.) pourrait contribuer à refonder l’économie sociale sur la base d’une régulation coopérative et d’une gouvernance territoriale. Anne Eydoux traite de l’indemnisation du chômage et des minima sociaux, critique les politiques d’activation qui, dans un contexte de pénurie d’emploi, se sont révélées un échec, non sans encourager une sorte de « lassitude de la solidarité ». Et propose de rompre avec cette orientation pour réaffirmer la solidarité et l’insertion comme une dette de la collectivité. Ce qui devrait conduire, selon elle, à examiner tous les moyens de créer des emplois. Les deux contributions suivantes portent sur le revenu universel. David Cayla se penche sur les différentes conceptions de celui-ci. Certaines font  abstraction de toute validation sociale de l’activité. Mais la promesse d’un travail librement consenti, produit d’un choix individuel, revient, explique-t-il, à nier le caractère doublement collectif du travail, qui reste une contrainte sociale et qui requiert une organisation collective. Henri Sterdyniak, sur le même sujet, rappelle qu’il existe en France une dizaine de minima sociaux qui s’ajoutent à des services et prestations universels et à des prestations sous condition de ressources. On peut alors se demander si la mise en place d’un revenu universel, dont les effets redistributifs induits sont difficiles à appréhender, est réellement le meilleur moyen d’améliorer le système (On pourra consulter sur ce point l’important dossier mis en ligne par l’OFCE). Enfin, Philippe Askenazy montre qu’à la base des politiques d’austérité, on trouve un mépris des élites économiques et politiques pour la masse des travailleurs que celles-ci jugent peu productifs. Mais cette productivité pourrait bien être grandement sous-estimée. Il explique pourquoi à son avis et dénonce ainsi la non-reconnaissance sociale comme salariale des efforts productifs de tous, qui exacerbe et nourrit la rente capitaliste (on pourra se reporter à ce propos à son dernier livre Tous rentiers ! et à l’entretien qu’il nous avait donné en avril 2016)

Au-delà du fond et des questions qu’il pose (sur lesquelles il faudra revenir) l’ouvrage est agréable à lire, même si les contributions sont inégales comme c’est presque imparable dans un ouvrage réunissant autant d’auteurs