Une présentation trop rapide de différents enjeux et alternatives économiques du futur.

Changer d’avenir ? Si l’on saisit bien, à la lecture de ce nouvel ouvrage des « Economistes atterrés », pourquoi il serait urgent de s’y atteler, il n’en va pas de même des moyens à mettre en œuvre pour cela. Le lien entre ces derniers et les « nouveaux défis » identifiés par ce collectif de chercheurs ne saute pas vraiment aux yeux. La cohérence entre les pistes exposées apparaît plus factice que réelle, et l’on est finalement gêné par la forme trop condensée du propos lorsque les sujets traités deviennent complexes.

Le premier chapitre s’interroge sur le devenir de la croissance et les débats qui ont actuellement cours à ce sujet, la désindustrialisation que connaissent de nombreux pays riches, dont la France, et le rôle des grands groupes dans celle-ci, les limites de la croissance au regard des contraintes naturelles et la mise en coupe réglée de la nature par la finance.

Le chapitre suivant traite, au risque de la dispersion, des nouveaux défis sur lesquels les auteurs ont choisi d’attirer l’attention : du pouvoir exorbitant acquis en peu de temps par les GAFA (les Google, Apple, Facebook, Amazon et autres) ; du néo-management et du contrôle renforcé qu’il exerce sur les individus au travail ; d’Uber et autres plates-formes ; des tensions concernant l’assurance chômage en raison des mutations de l’emploi ; et enfin de la privatisation des biens publics et de la manière de la contrecarrer (en s’intéressant à l’évolution de la notion de biens publics en droit).

La deuxième partie de l’ouvrage, censée aborder les voies alternatives qu’il conviendrait d’emprunter, se penche, en premier lieu, sur l’avenir du travail et, ensuite, sur les politiques en matière de transition énergétique (et écologique).

 

Réinventer le travail ?

La fin du travail n’est pas pour demain, nous expliquent les auteurs, que cela n’empêche pas de discuter du revenu de base inconditionnel. Ils rappellent opportunément, à ce propos, que ce qui fonde le revenu c’est la validation sociale et donc que sans celle-ci il ne peut exister de revenu d’activité qui ne soit pas un transfert social (contre les promoteurs du revenu de base qui voudraient y voir un revenu primaire). C’est pourquoi il est impossible d’écarter la question de son financement, en particulier lorsque les montants envisagés excèdent ceux des aides sociales. Ils soulignent par ailleurs le risque que celui-ci ferait courir d’une libéralisation supplémentaire du travail (si le revenu de base justifiait l’abandon de toute protection). Et plaident, pour finir, plutôt pour une augmentation et simplification des minima sociaux, associée à la garantie d’accès aux services publics, qui représenterait un coût beaucoup plus faible qu’un revenu inconditionnel et universel.

Parallèlement, les auteurs proposent, mais sans beaucoup argumenter, de rouvrir la question de la réduction de la durée du travail, pour créer des emplois, en la finançant par les gains de productivité et une inflexion du partage de la valeur ajoutée en faveur des salariés.

Ils font ensuite la promotion de l’économie sociale et solidaire et en particulier des coopératives (celles-ci comptent en France en 2015 presque 3 000 entreprises qui emploient plus de 50 000 salariés), cela dans le contexte du développement de l’économie du partage ou d’un « retour des communs » liés pour partie à la révolution numérique. Les auteurs présentent notamment, à ce sujet, le cas des coopératives d’activité et d’emploi, pour les nouvelles manières de travailler et de collaborer qu’elles ont fait émerger.

Le propos sur le travail, qui devient ici plus difficile à suivre faute d’une présentation plus claire, se conclut par une section consacrée à l’extension de la protection sociale dans le sens d’un « nouveau droit commun du travail » (DCT), en suivant en cela les propositions formulées et développées dans plusieurs ouvrages par Alain Supiot, celui-ci parlant de droits de tirage sociaux attachés aux personnes et à leur activité et non plus uniquement à l’emploi.

« Virtuellement, on pourrait imaginer que les nouveaux DCT portent (en complément des droits existants) sur une série de domaines tels que : le droit à l’éducation et à la formation, à la santé, à la retraite, à l’accès à du revenu pour des activités non salariées mais reconnues d’utilité sociale, à du crédit, à des avances monétaires nécessaires au lancement d’activités nouvelles… La mise en œuvre de tels DCT suppose donc un large débat et l’établissement de consensus et compromis nouveaux dans la société. »  

 

Repenser la transition énergétique

Le dernier chapitre traite de la place que devrait avoir l’Etat dans la transition énergétique (et écologique), comme indiqué ci-dessus. Les auteurs rappellent les différents arguments en faveur de l’investissement public dans un tel cas. Ils précisent ensuite les principes d’une politique industrielle refondée qui serait en phase avec les enjeux d’une telle transition. Celle-ci devrait moins cibler, expliquent-ils, les grands groupes que les petites et moyennes entreprises. Les acteurs publics décentralisés seraient également appelés à y tenir des rôles clés ; de même que des organisations citoyennes engagées, par exemple, dans la lutte contre le mauvais logement ou la précarité énergétique   . Les programmes verticaux tel que le développement de l’offre d’énergie solaire ou plus généralement des énergies renouvelables devront faire une place à une vision systémique intégrant le principe d’économie dans la consommation (ou l’usage) des ressources, la mise au point conjointe de normes et la promotion d’offres nouvelles. Et tout ce qui a trait aux économies d’énergie supposera des mesures spécifiques permettant le développement de l’offre mais également la solvabilisation de la demande   . Tout cela aurait mérité d’être mieux expliqué.

Les auteurs, élargissant la question à celle de la transition écologique cette fois, réaffirment ensuite qu’une politique en la matière ne pourra pas s’accommoder du libre-échange tel que la globalisation l’a imposé et nécessitera : de restreindre la liberté de circulation des capitaux, de pouvoir ériger des protections contre le non-respect des normes sociales et environnementales, d’inciter à la relocalisation des activités et de cibler les aides publiques vers les activités et les entreprises s’inscrivant dans le cadre de cette politique   .

Ils évoquent pour finir rapidement la question du financement de cette transition en indiquant que l’ampleur des ressources à mobiliser et les difficultés pour instaurer une fiscalité écologique plaident pour mobiliser pour cela les ressources de la politique monétaire. Ce qui se heurte, comme les préconisations ci-dessus, aux règles et institutions en vigueur.

Mais ne soyons pas trop sévères, l’objectif que se fixait cet ouvrage était clairement hors de portée ; on peut alors le voir comme une tentative de présenter un certain nombre de pistes dont on pourrait tirer les leçons une prochaine fois