L’exemple de Dubaï, ville aux projets démesurés, permet une analyse de l'inscription de la mondialisation dans le monde arabe, intéressante mais parfois hâtive.
Après différents ouvrages sur la ville, le journaliste et anthropologue Mike Davis propose un court essai sur Dubaï. Cet auteur, qui a commencé sa carrière professionnelle comme camionneur puis ouvrier, a écrit différents ouvrages à grand succès sur Los Angeles et les dérives de l’urbanisme sécuritaire. Il s’attache cette fois à Dubaï. Cette ville-État des Émirats arabes unis est un délire urbain à la vulgarité stupéfiante. Les projets démesurés se multiplient : on y trouve la Burj Dubaï, la tour le plus haute du monde avec 800 mètres de haut. On y projette également de construire le plus grand parc à thème du monde, le plus gigantesque centre commercial (le Dubaï Mall sur un terrain de 112 hectares !), la plus vaste île artificielle… Comment l’émir Cheik Mohammed El Maktoum, dont on connaît la passion débordante pour le béton et le métal, a-t-il pu transformer son littoral désertique en une ville mondialisée ?Pour répondre à cette question, Mike Davis s’appuie principalement sur des sources journalistiques, en majorité des journaux américains, mais aussi des journaux arabes en anglais, et quelques rapports d’institutions internationales. Il montre que moins riche en pétrole que ces voisins comme le Koweït ou le Qatar, Dubaï a échappé à la pauvreté en adoptant la stratégie de Singapour. Dubaï est devenu le principal centre du commerce, des finances et des loisirs du golfe persique. Pour réussir ce pari, l’État a été totalement transformé en une forme d’ "entreprise". La famille de l’émir El Maktoum possède l’ensemble du foncier, le prince se comporte comme le PDG de cette ville. Mais Dubaï ne doit pas son succès à cette seule capacité managériale. La ville prospère également sur l’exploitation d’une main d’oeuvre immigrée, venant d’Inde, du Pakistan ou encore du Bangladesh. De plus, elle a bénéficié de différentes opportunités : Dubaï a par exemple accueilli de nombreux réfugiés iraniens après la Révolution islamiste de 1979. Les autorités se sont ensuite montrées particulièrement peu regardantes sur la réalité des trafics d’alcool et de drogues en direction de l’Iran. Selon Mike Davis, la finance a beaucoup prospéré grâce aux liens avec le terrorisme et le crime. Dubaï aurait ainsi été le fief de Dawood Ibrahim, truand légendaire de Bombay.
Que retenir de cet ouvrage ? Le texte de Mike Davis est complété par un essai de François Cusset, chacun se partageant une quarantaine de pages de l’ouvrage. Ce qui dans le texte d’un journaliste était troublant devient dérangeant dans l’entreprise de décodage conceptuel qui lui succède : tout est vu depuis l’Occident. Dans l’essai de Mike Davis, il nous est dit de l’histoire de Dubaï que "jusqu’en 1956, date du premier édifice en béton, l’ensemble de la population vivait dans un habitat traditionnel de type barastri, sous des toits de palme". C’est bien connu, avant de connaître les délices de la mondialisation occidentale, les Émiratis n’avaient pas d’histoire et coulaient les jours heureux d’un temps immobile ! À la suite de la présentation de Dubaï par Mike Davis, François Cusset veut en donner une interprétation théorique. Les auteurs mobilisés sont impressionnants et feraient un effet certain à un oral de concours : Sartre, Benjamin, Proust, Marx, Heidegger, Segalen, Braudel, Weber, Deleuze, Breton… Mais, quel décalage entre la mobilisation de cette culture très européenne avec l’idée développée que l’Occident pourrait être devenu une banlieue du monde ! Et si l’interrogation "islam et capitalisme feraient-ils bon ménage ?" est légitime, les travaux de spécialistes de l’islam ou du monde arabe sont rapidement évoqués mais ne sont pas réellement mobilisés.
Cet ouvrage, servi par l’écriture agréable et bien traduite de Mike Davis, donne à voir une réalité urbaine tout à fait saisissante et éclaire un aspect peu connu des effets de la mondialisation. Toutefois, le lecteur aurait aimé un peu moins d’hyperboles, comme si le gigantisme décrit devait nécessairement entraîner l’emphase, et un peu moins de dénonciation de "l’enfer néolibéral", certes bienvenue (comment ne pas la partager ?) mais convenue, pour mieux comprendre l’inscription particulière de la mondialisation dans ce monde arabe et musulman.
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Crédit photo : twocentsworth / flickr.com