Des notes, des pages de « carnets » désabusées pour dire sans complaisance le désespoir du mal, physique et politique, les progrès de la maladie, la déréliction.

 

  

 

Les moments de grâce de Jean-Claude Pirotte sont ceux d’un orpailleur. Observant un ciel laiteux, il précise en effet : « ce bleu qui semble sourdre du lait frais ». Cependant, face à l’à-quoi-bon, Pirotte se demande, par exemple, comment faisait un autre poète, Georges Perros ? Il répondait à « l’urgence du talent, ce besoin impérieux de retenir le temps ». Celui qui a publié 50 titres assène des mots terribles pour dénoncer l’affaiblissement actuel de la littérature. On publie surtout des livres frelatés. Il y en a trop, et bientôt, prophétise-t-il, il n’y en aura plus. Contemplant sa propre production, il consigne le 2 octobre 2010 : « Ma poésie est fabriquée. Mes livres sont des compilations hasardeuses. Je ne peins qu’au hasard, sans vraie habileté technique. Tout est faux et restera faux. » Il avait noté le 3 août : « Écrire pour écrire, avec l’espoir tout à fait vain, absurde, que l’écriture ne rouille pas ». L’Été dans la combe ne devrait pas plus rouiller que Le Bonheur des tristes de Luc Dietrich.

 

Ecrire et lire en politique

Ayant accepté de tenir une chronique dans Lire, il parle de haine, de dégoût de « répulsion pour le clinquant, la fausseté, la trivialité ». Et, tandis qu’il vante à raison « le style franc, direct, sans cesse éclairé par le sens et la prescience de l’art d’écrire, la grâce donc » de Maupassant, il déplore combien rares sont ses découvertes. Il s’interroge : « Comment peuvent-ils être aveugles – ou complaisants – à ce point ? »

L’argument de vente de l’éditeur vise l’avilissement de Nicolas Sarkozy. De fait le nom du désormais évincé de la présidentielle revient (seulement ?) 14 fois. Mais l’analyse de Pirotte donne voix à un dégoût politique beaucoup plus large. Son amertume énonce que « l’ignorance est l’essence du peuple », elle balaye la démocratie, et ses élections par le suffrage prétendument universel, dans un même sentiment de déréliction. Il écrit : « L’homme est un animal sauvage qui n’ose exercer les devoirs que lui impose la nature de sa férocité qu’en meute. Sauvage et lâche. » Concernant le précédent Président, il n’est pas plus tendre qu’avec ses sbires du moment et sa colère devant le monde emporte tout : « Kouchner, Amara, Yade, c’est Chateaubriant » – une note précisant bien qu’il parle de l’admirateur de Hitler, Alphonse, mort en 1951. Leur chef : « un Machiavel de sous-préfecture atteint de mégalomanie galopante, souffrant d’une méconnaissance crasse de la langue, et jugeant de tout avec l’esprit d’un gamin gravement attardé. »

En même temps qu’il rappelle combien « la planète meurt sans recours », il désigne l’issue pour son propre compte, en précisant bien qu’il ne la voit pas : la mort. « Écrire un poème où seraient une mouette, le polder, le vent de mer, ne sauve pas la minute qui passe. » Ce bref volume posthume frémit encore de la vie qui s’enfuit.