Dans Les aventures de l’homme en or (Hermann, 2016), le philosophe Richard Shusterman et le plasticien Yann Toma détournent l’or de sa fonction monétaire pour en explorer les potentialités dans l’art vivant.

 

 

Trop souvent le rapport entre arts et sciences est référé aux sciences expérimentales (physique, biologie, parfois les mathématiques). Or de nombreux travaux concernent les rapports entre arts plastiques et sciences historiques ou sociales. Ils méritent qu’on s’y arrête à la fois pour les ressources de pensée proposées et pour la différence des engagements et des implications.

Les aventures de l’homme en or en offrent un exemple concentré sur les rapports entre un philosophe et sociologue (le pragmatiste américain Richard Shusterman, dénommé ici R.S.) et un artiste plasticien, Yann Toma (directeur du laboratoire Art et Flux, président d’une compagnie d’électricité muée en réseau artistique). Le motif ? L’or détourné de sa fonction monétaire et transformé, par l’art, en analyseur de la société contemporaine. La méthode ? Revêtir R.S. d’une combinaison couleur or, changer son identité en celle d’un « homme en or » et lui demander de se déplacer dans des lieux divers tout auréolé de lumière (surtout la nuit, ainsi qu’en témoignent les photos publiés dans l’ouvrage). La finalité ? Développer les expériences de somaesthétique – la découverte de R.S. consistant à affirmer que l’agrégat de cellules qui constituent le corps (soma) a des ressources sensorielles qui, une fois maîtrisées, peuvent fournir de meilleures expériences artistiques aux artistes et des exercices esthétiques plus féconds au public.

En marge de ses fonctions économiques, l’or a, certes, depuis longtemps, une fonction artistique, même si elle varie d’un auteur ou d’un artiste à un autre. En dehors de ses capacités figuratives (l’or des icônes, l’or des mosaïques de Klimt, etc.), il se fait déjà critique chez Yves Klein. Mais il y a mieux encore. Entre La dent d’or de Fontenelle (1687), cet apologue destiné à fustiger la croyance en de fausses vérités chez les savants, L’homme en or de John Dickson Carr (1942), inventé pour opérer la critique de la société, ou Le Bras d’or d’Otto Preminger (1955), tourné vers la mise en question de la force, les figures artistiques de l’or vont bon train, qui sont reconfigurées chez les artistes, en analytique des relations sociales.

 

 

Dans le cas de Shusterman/Toma, l’opération critique se poursuit, voire s’amplifie. Non seulement il s’agit d’examiner ce que signifie pour une personne (R.S.) la possession par une personne artistique étrangère (ou comment un costume différent, celui de la combinaison d’or, oblige à adopter un autre comportement). Mais encore, la rencontre de cet Homme en or avec nos concitoyens produit des effets dont l’examen est nécessaire : les regards suspicieux jetés sur l’homme en or par les personnes rencontrées, parfois des regards méprisants ou moqueurs, indiquent assez comment on peut blesser, repousser, exclure un étrange étranger.

 

Richard Shusterman

Yann Toma,

Les aventures de l’homme en or,

Paris, Hermann, 2016