Auteure de plusieurs récits-essais inclassables aussi surprenants que Tomates (P.O.L, 2010) ou Les années 10 (La fabrique, 2014), l'écrivaine Nathalie Quintane récidive avec Que faire des classes moyennes ? Pour Nonfiction, elle revient sur ce livre et sur l'apathie politique des classes moyennes – produit, d'abord, peut-être, d'une suroccupation ?

 


Nonfiction : Au terme de l’enquête que constitue ce livre, pensez-vous pouvoir caractériser les classes moyennes ?

Nathalie Quintane : Je n'en suis pas sûre : elles ont tendance à fuir par les bords. Cela dit, d'autres l'ont très bien fait pour moi, et pour nous. Le livre s'efforce de reprendre, parfois assez scrupuleusement, ce qu'ils nous en disent et donc ce qui les (et nous) caractérise dans le discours.
 
L’exécrable réputation que leur font la littérature et la pensée critique est-elle méritée ?

La plupart des écrivains et des chercheurs sont aujourd'hui issus des classes moyennes. Ecrire est un « passage à l'acte » qui implique, plus ou moins consciemment et avec plus ou moins d'intensité, une façon de vengeance. Mais c'est peut-être la découverte que tout ce qu'on a mis en œuvre en écrivant n'est pas seul suffisant à s'en sortir (des classes moyennes, par exemple) qui déçoit et entraîne chez certains, malheureusement, un trépignement, c'est-à-dire l'expression répétée de cette toute petite rage qui caractérise le monde dont ils sont issus, le nôtre encore. Face à ça, qui n'est pas glorieux, je ne vois qu'un contre-feu : l'humour. Que faire des classes moyennes ? est aussi un texte humoristique.

Vous dénoncez leur apathie. Qu’est-ce que celle-ci compromet ?

La capacité de sortir de chez soi et de s'attrouper, ne serait-ce que pour parler de la situation sociale et politique.

Comment parviennent-elles à se distinguer aujourd’hui du prolétariat dans leur manière de concevoir le monde ou la vie ?

Nos manières de concevoir le monde et la vie se tiennent dans nos habitudes - d'ailleurs, ce sont nos habitudes (je fais davantage référence à Dewey qu'à Bourdieu, en l'occurrence). La dernière partie du livre, qui décrit brièvement le système d'échanges de services progressivement mis en place par ceux qui ont encore quelque chose à échanger - trajets en voiture, chambre à coucher, cours d'anglais et j'en passe -, indique assez clairement où symboliquement s'élève (ou espère s'élever) aujourd'hui la limite entre classes moyennes et pauvres.

Désormais, elles pleurent, écrivez-vous. Que pleurent-elles selon vous ?

Je me demande si elles ne pleurent pas simplement pour se soulager de temps à autre, par hygiène.

Quel rapport les classes moyennes entretiennent-elles avec la peur (peur de déchoir, peur qu’elles suscitent, peur d’elles-mêmes ) ?

Je crains que ma réponse ne soit de l'ordre de la psychanalyse de comptoir ! Disons... une excitation, c'est certain... à l'idée que Le Pen passe, par exemple (qu'on soit pour ou contre), à la perspective terrible et désirable d'un changement radical de vie, pour le meilleur comme pour le pire, hélas.

Qu’est-ce qui peut faire espérer que les classes moyennes, ou tout du moins une partie d’entre elles, réussissent à sortir de leur torpeur ?

Commencer à comprendre que les B.A. dans les assos ne vont pas suffire, à un moment, serait un bon point de départ. Quitter le marché du participatif (alors, pour quoi je m'engage, aujourd'hui : la monnaie locale ? la sauvegarde de la marmotte ? contre le décrochage scolaire ? pour une nouvelle cloche au clocher ? etc etc), par conséquent prendre ses distances avec « l'occupationnel ». On est tous très occupés. Peut-être faudrait-il se désoccuper, d'abord 

 

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