Mireille Delmas-Marty continue d’explorer les moyens par lesquels le droit peut contribuer à réguler la mondialisation.

Mireille Delmas-Marty, professeur honoraire au Collège de France   , est spécialiste de l’internationalisation du droit. Ses travaux portent depuis plusieurs années sur la manière dont le droit peut contribuer à humaniser la mondialisation   . Elle synthétise dans ce nouveau livre, à travers la métaphore de la rose des vents, les tensions qu’exacerbe la mondialisation et, parallèlement, le rôle que pourraient jouer quelques principes essentiels du droit pour équilibrer celles-ci. Une seconde métaphore, celle du Congrès des vents, lui permet d’introduire les acteurs.

 

La montée des interdépendances, l’exacerbation des tensions

 

Les interdépendances entre nos sociétés sont désormais telles que la solution des problèmes que nous rencontrons ne peut être trouvée qu’au plan international. L’auteure illustre cette idée sur deux exemples : le terrorisme international et le dérèglement climatique. Le premier met à mal le modèle souverainiste de type démocratique. Le second bute encore sur l’absence d’instruments juridiques à même de garantir la mise en œuvre des objectifs communs définis, par exemple, dans l’accord de Paris sur le climat.

 

Les processus juridiques sont en charge, dans nos sociétés, de la construction et de l’harmonisation des valeurs, mais également de la responsabilisation des acteurs. Ils sont confrontés aux contradictions qu’exacerbe la mondialisation. Ces contradictions, renvoient d’abord aux tensions qui opposent aspirations à la liberté et besoin de sécurité, ou volonté de compétition et désir de coopération – quatre forces que l’auteure identifie comme quatre vents dominants. Mais les tensions qu’accentue la mondialisation opposent aussi poussée d’innovation et volonté de conservation, ou encore, désir d’intégration et volonté d’exclusion.

 

Le recours aux principes régulateurs

 

Le droit, lorsque l’on croise l’observation des pratiques et la réflexion théorique, offre toutefois des principes régulateurs pour équilibrer ou aplanir ces tensions. Le principe d’égale dignité de tous les êtres humains – affirmé au sein de l’Europe qui se distingue en cela des Etats-Unis – permet de limiter réciproquement les aspirations à la liberté et à la sécurité. Le principe de solidarité planétaire, qui prend forme face à l’enjeu du dérèglement climatique, pourrait permettre pareillement de dépasser les tensions entre volonté de compétition et de coopération.

 

Le « principe de précaution », que l’auteure préfère nommer « principe d’anticipation », qui s’est progressivement renforcé dans les textes et en jurisprudence, introduit, quant à lui, une logique de gradation, conduisant à évaluer à partir d’indicateurs la probabilité et la gravité du risque, mais également son acceptabilité. Il permet ainsi d’espérer équilibrer les tensions entre poussée d’innovation et volonté de conservation. Enfin, le principe du pluralisme ordonné, qui a fait une percée récente   , pourrait permettre de réguler les tensions entre désir d’intégration et volonté d’exclusion.

 

Le rôle des interactions

 

Mais il ne suffit pas de disposer d’instruments juridiques conceptuels. Pour réduire les tensions, il faut encore réussir à faire interagir les différents acteurs de la mondialisation. La bonne méthode, explique l’auteure, consiste à faire jouer des interactions à la fois verticales, entre forces planétaires et nationales, et horizontales, entre forces politiques, économiques, comprenant celles des entreprises transnationales, scientifiques et civiques. C’est celle qui a été mise en œuvre dans le cadre de la COP21 (le « Congrès des vents »), c’est-à-dire celle qui a permis la définition d’objectifs communs au niveau planétaire et l’appréciation des différenciations acceptables dans le contexte de chaque Etat au niveau national. Son succès relatif tient également beaucoup à la façon dont les forces politiques des Etats et les forces non étatiques – forces scientifiques des experts et forces civiques des citoyens en particulier – ont interagi justement dans ce cas précis.

 

Si nous voulons conserver la maîtrise de notre devenir, résister à l’inflation normative, annonciatrice de l’avènement de sociétés de la peur et du contrôle permanent, et/ou à l’expansion des systèmes de pilotage automatique qui pourraient s’étendre à la gouvernance du monde, nous avons besoin de systèmes de droit dynamiques et pluralistes. Ce livre cherche à la fois à nous en convaincre et à nous donner à penser la manière dont ceux-ci pourraient fonctionner. C’est dire son importance par les temps qui courent.