L’exposé radical de cas clinique peut-il révéler la nouvelle condition psychique de l’homme post-moderne ?
Des extraits du Cas Paramord de Pierre-Henri Castel peuvent être écoutés en version audio.
Ceux parmi nous qui refusent d’exposer leurs
idées au risque de la réfutation ne prennent pas
part au débat scientifique.
Karl Popper
Dans la centaine de pages qui constituent Le Cas Paramord, le psychanalyste Pierre-Henri Castel décrit la cure analytique d’un patient qui l’a consulté pendant quatre ans. L’exposé livre des fantasmes, des rêves parfois truculents, des pensées ou des théories qui viennent soit du patient, soit de l’analyste qui accepte ainsi de dévoiler les ressorts subjectifs de sa pratique clinique.
Paramord est-il, comme le voudrait Pierre-Henri Castel, la figure exacerbée des souffrances psychiques imposées par l’ère de l’autonomie que nous vivons ? Le défi relevé par ces pages n’est pas seulement d’y voir le révélateur d’une structure psychique nouvelle, née avec la post-modernité : c’est aussi de penser un nouvel usage méthodique de l’exposé de cas cliniques, et de jouer à fond le jeu du dévoilement pour réinventer la psychanalyse. Deux paris pour le moins ambitieux.
Le cas Paramord, ou la nouvelle maladie du siècle ?
Paramord est un homme qui, à l’approche de la retraite, se trouve dans l’incapacité de continuer à travailler. La direction de son lieu de travail ayant changé, les modalités grâce auxquelles il se débrouille pour soutenir sa tâche moyennant quelques accommodements ne sont plus praticables. Il est par ailleurs atteint du « syndrome de Diogène » : entassant les objets dont il ne peut se séparer, il a mené son logis à un tel degré d’encombrement qu’il n’a plus assez de place pour y recevoir ne serait-ce qu’une personne. Atteint de mentisme (des paroles, issues de son passé, lui reviennent sans arrêt en tête), pétrifié par une phobie d’impulsion, rongé par le doute sur son état psychique, effondré, il consulte en hôpital psychiatrique. Mais dépassé, le docteur A. finit par l’adresser à un psychanalyste ; Pierre-Henri Castel, sans toutefois stopper son traitement médicamenteux, qu’il poursuivra pendant toute la durée de l’analyse.
Paramord est un « névrosé obsessionnel incurable », disait le Dr A. en l’adressant à Castel. Mais ce qu’entend démontrer ce livre, ce n’est pas ce diagnostic. C’est d’abord en quoi l’état de Paramord, comme celui de tout un chacun, dépend de la forme de vie dans laquelle ses symptômes prennent place. Cette forme de vie, c’est la nôtre. Nous vivons en effet, écrit Castel, à l’époque de l’autonomie-condition, qui succède à l’autonomie-aspiration. Au sens où l’individu n’aspire plus à l’autonomie, mais la vit ou la subit comme une condition, impérative. L’idée est bien illustrée par cette description de Paramord : « Son hypocondrie le forçait à une série de « tests » qu’il se faisait subir n’importe où, dans la rue, au travail. Or, dans ces tests, il ne vérifiait pas s’il pouvait se tenir sur une jambe les yeux fermés, ou bouger simultanément tel et tel membre, mais s’il pouvait vraiment « se faire faire » ces mouvements (…). » A la différence de l’obsessionnel décrit par Freud, dont les mécanismes de défense consistent à éviter l’acte pour éviter la faute, la contrainte que vit Paramord est plutôt celle, « bien moins exaltante, sinon platement tautologique, d’agir « en pleine autonomie ». » Et Castel d’ajouter, pour finir d’incriminer la condition de l’homme contemporain : « S’il n’avait pas fallu à Paramord être autonome en tout, je ne vois pas comment ses symptômes se seraient exacerbés. » Arrivé à ce point, on peut se demander ce qui fonde la relation de cause à effet invoquée pour expliquer les troubles du patient.
Paramord est selon lui le reflet de notre « condition anthropologique », non au sens intemporel de l’expression (où les hommes seraient de toujours et pour toujours ce qu’ils sont comme les singes sont ce qu’ils sont), mais au sens où les conditions de vie des hommes ; les conditions qu’ils se fabriquent au cours du processus civilisationnel, changent avec l’époque. Entérinant encore un peu plus ce propos, Castel ajoute : « Il y a même un sens ici où toute clinique de l’individu serait dérisoire ; elle ne peut qu’être une clinique historique. » L’homme est donc, si ce n’est malade de son époque (ou à cause de son époque), du moins malade dans son époque, d’une maladie qui est susceptible de s’exacerber à raison de la pression exercée par les idéaux et les exigences de cette époque. En d’autres termes, il n’est pas juste malade de son enfance, de son inconscient ou à cause de son statut d’homme civilisé, comme dirait Freud, mais malade selon son époque ; en fonction d’elle. Peu conforme aux canons psychanalytiques, le propos est ici révélateur de la perspective « ethno-psychopatholigique » de Castel.
C’est qu’ildéplace les frontières de la subjectivité, puisque sans nier le fonctionnement psychique obsessionnel de Paramord, il ne réfère pas ses symptômes à sa seule subjectivité la plus privée. Il commence par dire que les formes symptomatiques que prend cette subjectivité et l’intensité des troubles dépendent aussi de l’époque dans laquelle vit Paramord. Cette époque porte ou même impose un idéal et fixe ainsi les conditions d’existence de cette subjectivité, qui parviendra à y fonctionner ou à y dysfonctionner. Les graves empêchements qui handicapent Paramord révèlent un fait que Castel fait saillir : le prix qu’il en coûte, en termes de souffrance psychique, de se cadrer sur cet idéal d’autonomie qui nous est imposé, est parfois très élevé. Ce prix à payer est pour Paramord cette intense souffrance psychique qui le laisse à demi mort. A cela, comme pour nous rassurer, Castel ajoute que c’est également « à un très haut prix », que Paramord sortira, et encore, ponctuellement, « de la contrainte psychique comme il l’a vécue toute sa vie » . A la faveur de l’analyse ? En tous cas, le docteur A., qui continuera à voir Paramord après la fin de la cure, confirmera le « net mieux » .
Pierre-Henri Castel est coutumier du fait de laisser ses lecteurs tirer eux-mêmes les conclusions de ce qu’il énonce. Tirons donc les conclusions : à quoi nous sert cet exposé de cas ?
Les décennies précédentes ont vu se multiplier les TOCS. La question de savoir pourquoi reste ouverte ! Le livre constituerait-il une explication de ce phénomène ? La pression à l’autonomie tendrait à susciter des troubles obsessionnels, pétrifiant les sujets dans une incapacité à agir, dans des compulsions de vérification, etc. : « Le fait anthropologique capital, c’est qu’il n’a jamais existé de pareilles souffrances, touchant les gens en masse et débouchant sur l’invention d’institutions spécifiques pour y remédier, avant l’émergence de l’individu moderne (…) », écrit Castel . Par « de pareilles souffrances », espérons qu’il ne désigne pas des souffrances qui seraient aujourd’hui plus fortes que celle d’hier… car ce sont simplement les modalités de la souffrance et de sa prise en charge, qui ont changé. On ne souffre plus de la même manière et on tente de prendre en charge cette souffrance psychique, dont on reconnaît le caractère destructeur. Quant à son intensité… bien malin serait celui qui parviendrait à réaliser une étude comparative entre la somme des souffrances psychiques endurées par les êtres humains d’aujourd’hui et ceux d’hier ! Dans la postface de son cas , Castel, référant aux travaux de Norbert Elias, finit d’ailleurs par concéder que la « contrainte à devenir soi », contrainte qui se monnaie en autant de « contraintes personnelles » pénibles, délivre aussi « de vives satisfactions liées à l’autonomie ». Il est bon de le lire, au milieu du sombre et parfois apocalyptique discours castelien . Pourtant, les ravages de l’absence d’autonomie, qui seront mieux reconnus sous l’expression « ravages de la dépendance », ne sont pas tellement plus enviables que les ravages de l’ « autonomie-condition ». Notre civilisation semble au final osciller entre les pathologies liées à la dépendance ou à l’addiction, et ce que Castel désigne comme les ravages de l’autonomie-condition.
Quels que soient les dégâts, supplémentaires ou non, occasionnés par le régime de la contrainte (à l’autonomie) sous lequel nous vivons, Pierre-Henri Castel ne propose pas, en tous cas pas dans cet ouvrage, de fonctionner sur un autre modèle, peut-être plus solidaire, qui serait à même d’épargner aux gens de basculer dans le type de symptomatologie que présente Paramord. Il nous avertit plutôt de ceci : « Ce que Paramord nous apprend, c’est (…) à quels remaniements de notre appareil psychique il faut se préparer pour rencontrer l’individu qui vient. » Là commence le travail qu’il nous propose. Se plaçant bel et bien comme psychanalyste (et plus seulement comme penseur de la postmodernité) il va nous expliquer ce qu’il appelle « appareil psychique », nous parler de celui qu’il utilise dans la cure de Paramord, et nous montrer comment il le met en fonction pour déjà « approcher » ce patient ; ce Paramord qu’il a défini comme homo autonomicus…
Le complexe de Cham, structure psychique de la post-modernité ?
Au-delà de l’individu « Paramord » et de son analyse, l’enjeu n’est en effet rien moins que l’« appareil psychique » qui le relie à l’analysant : « L’appareil psychique de l’analyste, puisque c’est de cela qu’il s’agit (et non des vicissitudes de son psychisme privé), devrait transparaître dans l’exposé de cas tel que je propose d’en régénérer la pratique. Or cet appareil n’est pas dans la tête. Ce n’est pas un dispositif interne constitué d’une mystérieuse substance psychique, et dont on aurait l’usage comme d’un outil enseveli en soi-même. (…) il s’avère n’exister qu’en fonction de sa capacité à « appareiller » l’analyste à son patient (ce qui est le sens du cher vieux concept de transfert). Hors de cet appareillage, il n’existe pas. »
L’appareil psychique est constitué de ce que l’analyste et l’analysant partagent : des idées, des fantasmes, des rêves, des théories. Ce sont les objets d’une expérience commune, mais elle n’est pas forcément vécue au seul niveau verbal : Castel explique que sa réponse à Paramord a souvent été faite de gémissements, de soupirs, parce que ses interprétations ne passaient pas : Paramord disait qu’il entendait sans comprendre. En tous cas, le livre peut donner au lecteur l’impression que dans cette cure, quelque chose a eu lieu, à un autre niveau que le niveau verbal. Le lecteur se sent plongé dans une atmosphère très particulière, parfois un peu glauque, comme si Castel avait voulu autre chose pour l’analyse ou pour cette analyse. Quelque chose d’autre que de l’interprétation et de la construction théorique. Ce qui comptait pour lui était de « se rapprocher » de son patient. Il est vrai que sur ce chemin vers l’autre, il n’est pas rare de déboucher dans l’impasse de la démarche théorique, en arrivant au point où l’idéal auquel elle s’articulait, à force d’avoir été appréhendé sous toutes les coutures, se révèle être ce qu’il est : une outre vide. La théorie est un objet, bizarre si l’on veut, qui produit parfois ce type d’expérience qui peut soit être perçue comme telle et élaborée, soit devenir quelque peu annihilante pour l’analyste ou pour l’analysant.
Le point essentiel qui permet aux psychanalystes d’appréhender leurs patients, quand ils sont névrosés, est le mythe d’Œdipe. Pour Castel, la problématique de Paramord n’est pas à associer à ce mythe, mais à l’histoire biblique de Cham dévoilant la nudité de son père, Noé. Cette faute de Cham sera à l’origine d’une malédiction proférée par Noé contre (Cham et) son petit-fils Canaan, qui sera le premier d’une lignée d’esclaves. Castel commente cela en disant que les enfants d’ « Œdipe » avaient certes un destin malheureux, mais en avaient au moins un, tandis que les fils de Cham, eux, de père déchu, seront tous esclaves. « A quelle personnalité auraient-ils droit, enfants d’un tel père ? (…) Ils n’ont même que leur honte (la honte pour leur père, honte transmise de père en fils) pour rester encore humains. »
Pour Castel, ce complexe de Cham constitue une « alternative à l’Œdipe » . Une alternative non œdipienne, plutôt que préœdipienne. Voilà qui sans doute, répond au problème de la proximité entre Paramord et la psychose, dont il diffèrerait sous ce rapport. En effet, Paramord présente de si nombreux traits d’allure psychotique qu’on se lasse à les recenser. D’autant qu’à terme, il est difficile de ne pas se demander si Pierre-Henri Castel ne les narre pas à plaisir, pour mieux pouvoir les dénier en tant que tels et s’en expliquer grâce à cette idée d’une alternative à l’Œdipe. Il opère à ce sujet des distinctions très fines entre d’un côté « l’Autre constamment interpellé : c’est lui qu’on a lésé, c’est lui qui punit » dans une perspective œdipienne, et de l’autre côté ; dans la perspective du complexe de Cham, un honteux qui, par sa honte, s’autosanctionne. « Du coup, l’Autre justicier est mis hors-jeu, au moment même où pourtant je ne cesse de jouer, devant lui, ma très grande honte » , précise Castel. Mais cela, il le distingue du masochisme : « Le corps du honteux ne s’offre pas aux coups. Il est (…) abattu avant d’être battu. » (Ce qui est très bien dit.)
En d’autres termes, sa honte le dispense de la punition. En attendant, sur ces brillants constats, Paramord « s’engluait dans une dépendance à l’analyse teintée de l’angoisse permanente que l’analyste se lasse (…) » Et cela inquiète. Car si le regard théorique qui est porté sur le cas, ces distinctions très fines entre différents objets pourtant fort semblables dont les précédentes ne sont que des exemples, l’impression qui peut rester au lecteur est que le cas file au profit d’une théorie qui grandit, quelle qu’ait par ailleurs été la tentative de l’auteur de la tenir à distance. Et il est bien connu, ce problème de l’état des gens sur le dos desquels la théorie s’est faite . Pourquoi Paramord devient-il dépendant de son analyste ? Cinq à six séances par semaine qui durent parfois plusieurs heures… n’était-ce pas risqué ? Cette insistance n’est-elle pas inappropriée dans certains cas de psychose, ou dans le cas de ce complexe de Cham, qui ne relèverait pas de la psychose ? Il paraît légitime de se poser la question. La résolution théorique de vastes problèmes intellectuels et grammatico-logiques, anthropologiques, etc. peut faire gloser les psychanalystes éternellement sans donner aucun résultat thérapeutique. Au-delà du choix de certains, ou de la nécessité à laquelle ils sont acculés de faire une analyse longue, voire à vie, l’enlisement dans l’analyse n’est pas un bon signe. Paramord ne s’enlisera pas plus de quatre ans chez Castel, qui espacera progressivement les séances jusqu’au moment où Paramord décidera d’arrêter la cure. Mais poursuivra le travail… et les médicaments avec le psychiatre.
Pour transformer la psychanalyse
Dans « Une hirondelle ne fait pas le printemps », le très synthétique essai qui postface l’ouvrage, Pierre-Henri Castel revient sur les choix théoriques qui soutiennent la manière de travailler qu’il expose par l’exemple dans Le Cas Paramord. Ces choix sont associés à des auteurs qui sont plus ou moins proches de Wilfred R. Bion : Christopher Bollas, Thomas H. Ogden et Antonino Ferro. Remarquons qu’ils sont actifs… Au contraire d’une psychanalyse fort répandue dont les recherches sont excessivement centrées sur des auteurs anciens (Freud, Lacan), le livre se place sous les auspices du dialogue entretenu et à entretenir avec cette troïka. Il répond ainsi à une interrogation que suscitent fréquemment les travaux de Castel : les auteurs qu’il plébiscite sont peu connus dans le mouvement analytique français. Ils sont pourtant décriés parce qu’ils relèveraient d’un courant intersubjectiviste pratiquant notamment une empathie excessivement naïve . Ce faisant, ils prendraient le risque, en tant qu’analystes, de se confondre avec l’analysant.
Dans cette postface, Castel montre l’intérêt de ce courant « antifrançais » (au sens où il s'oppose à la prétention de certains psychanalystes français à incarner « La » psychanalyse), et en termine avec ces préjugés. Les développements de cet essai, tout comme son exposé de cas, sont néanmoins contestables. C’est pourquoi l’un et l’autre constituent une base pour penser la « transformation » de la psychanalyse, selon un terme cher à Bion que Castel reprend abondamment. La psychanalyse, parce que ses tenants s’en sont souvent tenus à des manières de faire surannées et répétitives, à force peut-être de revenir éternellement aux mêmes auteurs, ne se porte en effet pas très bien. Par la répétition d’une expression non édulcorée par le conditionnel comme « Je veux », s’affirme la volonté de l’auteur de sortir la psychanalyse française de cette impasse, fut-ce au prix du dévoilement de son ressenti (il pleure), de ses rêves (il rêve qu’il masturbe son patient), de ses convictions concernant la problématique de Paramord…
La radicalité du dévoilement pourra sembler contestable, mais notons avec l’épistémologue Karl Popper que l’un des critères de la scientificité d’une approche est justement qu’elle soit réfutable : si ces critères ne peuvent être appliqués à cette expérience non reproductible qu’est la cure analytique comme ils le sont aux sciences dures ou à la psychologie expérimentale, les sciences humaines et sociales, dont les théories psychanalytiques font partie, doivent aussi répondre de leurs méthodes en ces termes. Or souvent, le matériau manque, du fait que les psychanalystes, pour des raisons de confidentialité, parlent peu de leur pratique. Et malheureusement, quand, à travers de courtes vignettes cliniques, ils en parlent, c’est en sélectionnant bien ce qu’ils veulent dans l’ensemble de ce qu’ils vivent avec leurs patients… « (Je) rejette avec la même vigueur que le recours aux vignettes illustratives les « cures » de patients imaginaires mais qui, dit-on, concentrent des traits observés chez les patients réels. Ces cures fictionnées renseignent sur le rêve de psychanalyse qui guide leurs auteurs, et sur le genre de patients qu’ils auraient aimé rencontrer – c’est tout », expurge Castel. Proposant un exposé beaucoup plus large de son travail ; exposant ce qu’il a pensé de la problématique de Paramord, la manière dont il a dirigé la cure, ce qu’il a ressenti, traversé ou rêvé pendant ce temps et les raisons théoriques qui ont justifié ses choix, Pierre-Henri Castel s’expose, expose sa clinique et s’expose à la critique.
Ce qui en ressort, c’est du moins l’extrême sensibilité d’un homme à la condition de son contemporain, qu’il pense avoir sous les yeux en la personne de Paramord et qu’il observe en anthropologue, comme on observerait le représentant d’une nouvelle espèce. Avec des remarques très percutantes, comme cette synthèse à propos du mentisme qui parasite Paramord : « Le bruit de fond était presque toujours le simple ronronnement du sens moral moderne : la grande machine à faire vivre chacun comme n’importe qui, à ne se prendre pour personne, à savoir d’avance qu’autrui ne jouit de rien de plus que vous, et à faire de sa propre autorégulation solitaire la grande affaire de l’existence. En tout cela, il ne s’agit que d’écraser l’asymétrie de tout rapport à l’Autre (et paradigmatiquement au père au sens œdipien) sur la pure co-existence de sphères privées inviolables. Au cœur de ces bulles-là, le perfectionnisme dans la scrupulosité devient vertigineux parce qu’il n’a même plus d’idéal à atteindre. »
Castel montre à quoi aboutit cette logique en disant que l’homme actuel finit par s’aliéner à lui-même.
Mais la psychanalyse est-elle capable de le sortir de cette pénible condition ? La question reste ouverte. Il faut noter qu’elle se posait peut-être avec moins d’acuité lors de la première édition du cas, initialement publié dans la collection Anthropologie Philosophie Psychologie (et présentement dans la collection Psychanalyse des éditions d’Ithaque), comme si lui et les deux essais anthropologico-historiques sur les obsessions qui le précédaient, n’avaient justement pas vocation à « servir » la psychanalyse, mais à décrire la condition potentiellement indépassable de l’homme contemporain appréhendé dans la cure analytique.
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Notre entretien avec Pierre-Henri Castel, autout du Cas Paramord, par Elen Le Mée