Le monde, l’Europe, la France : un tableau des peuples destinés à une coopération fructueuse selon Pascal Lamy. Mais on demande à voir.  

Ancien commissaire européen chargé du commerce (1999-2004) devenu directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (2005-2013), Pascal Lamy souhaite montrer aux Français que le monde est moins une menace qu’une chance. Selon lui, c’est quand la France s’éveillera que l’Europe se relancera et que la mondialisation se civilisera.

 

A l’appui de son essai d’environ 150 pages, une démonstration en trois parties qui va du général au particulier en proposant d’abord un regard sur les vices et les vertus de la globalisation des échanges, puis un tableau d’une construction européenne en souffrance, et enfin une analyse des forces et des faiblesses d’une France qui dispose de nombreux atouts pour réussir.

 

Entre angoisses et opportunités : une mondialisation à deux visages

 

Après huit années passées à la tête de l’OMC, on peut difficilement contester à Pascal Lamy son expertise en matière de mondialisation. Souvent décrié comme un chantre de la libéralisation à tout crin, force est de constater que son propos est plus modéré quand on prend le temps de le lire. D’une part, il explique que le concert des Nations et l’ouverture des frontières a permis des progrès sociaux indéniables à travers le monde, comme les 700 millions de personnes qui sont sorties de l’extrême pauvreté en 20 ans. D’autre part, il admet que la nouvelle révolution industrielle a donné naissance au « précariat »,   qui touche notamment les femmes, les jeunes, les intérimaires et les travailleurs migrants, qui sont en situation d’incertitude chronique, que ce soit pour leur travail, leur logement ou plus généralement leur avenir.

 

Par ailleurs, Pascal Lamy porte un regard admiratif sur les avancées technologiques et la multiplication des échanges qui ont transformé le monde en une série de postes de travail d’une usine devenue globale où les biens manufacturés changent de pays (voire de continent) aux différentes étapes de leur élaboration, en fonction des spécialités et du savoir-faire spécifique de chaque région. Le « made in France » ou « made in China » d’antan cédant ainsi la place au « made in the World », la mondialisation de l’économie remet au goût du jour la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo, qui devrait inciter chaque pays à spécialiser sa production dans les biens où il possède un avantage comparatif et à acheter les biens qu’il ne produit pas.

 

Mais l’ancien commissaire européen ne se contente pas de constater la marche du monde ; il souligne qu’il serait délétère de simplement observer les effets positifs et les effets négatifs de la mondialisation en espérant que les premiers finissent par l’emporter sur les seconds. Se pose alors la question d’une approche politique de la globalisation et de la mise en œuvre d’une gouvernance permettant de diriger l’intégration technologique et économique en fonction des impératifs de lutte contre les inégalités et de préservation de l’environnement. Or s’il faut bien une coordination internationale pour une efficacité maximale, l’échelon le plus pertinent pour réguler la mondialisation reste l’échelon régional selon Pascal Lamy. Et dans cette quête d’un modèle de gouvernance supranationale consentie, c’est bien sûr vers l’Union européenne que son regard se tourne.

 

Entre vice de construction et nouvel horizon : une Europe à réinventer

 

Sherpa de Jacques Delors pendant une dizaine d’années puis commissaire européen pendant 5 ans, on peut se douter que l’auteur a l’Europe chevillée au cœur et au corps. Avec plus de 500 millions de citoyens, le plus grand PIB du monde et plus du quart des échanges mondiaux, il est vrai que l’Union européenne reste un acteur incontournable de la mondialisation. Mais Pascal Lamy est le premier à admettre que l’Europe est entrée en crise depuis plusieurs années : « Elle se cherche toujours et ne se trouve plus guère. Elle accumule les retards et devient illisible pour une grande partie des opinions publiques. »   Et encore, ce livre a été écrit avant le referendum sur le Brexit…

 

L’échec actuel, ou pour le moins l’égarement, de l’Union européenne est un paradoxe. En effet, il aura fallu une motivation incroyable et une volonté profonde de réconciliation entre des peuples qui s’étaient déchirés pendant des siècles (et plus violemment encore lors des deux derniers conflits mondiaux) pour parvenir à transformer le projet européen en réalité institutionnelle. Mais cette motivation comme cette volonté semblent avoir disparu du paysage politique actuel… C’est que les promoteurs de l’idée européenne avaient vécu la dernière guerre mondiale mais qu’elle appartient désormais à l’histoire, du point de vue des jeunes adultes d’aujourd’hui. Or la mémoire d’un passé, si atroce fut-il, ne fait pas un avenir.

 

Et bien qu’il fût l’un de ses constructeurs, Pascal Lamy considère qu’il y a eu des vices de construction dans la maison Europe et qu’elle souffre aujourd’hui de déficits originels qui sont autant de failles mettant l’édifice en danger. En particulier, l’absence de sérieux dans la fabrique et le pilotage économique de l’UE a conduit à renforcer la défiance envers ses institutions, à mettre en lumière les graves divergences entre les Etats membres et à déliter le sentiment d’appartenance des citoyens à une aventure collective. Pourtant, certaines réussites sont concrètes, comme le programme Erasmus, qui permet chaque année à 200 000 étudiants de rencontrer et découvrir leurs condisciples étrangers, permettant de diffuser l’esprit européen parmi la jeunesse.

 

Au-delà de difficultés d’identité et du déficit d’appartenance, l’UE souffre également d’un manque de vision et d’un défaut de gouvernance. Et c’est là que l’ancien commissaire européen affiche ses idées, qui ne seront sans doute pas partagée par tout le monde, notamment une Europe à géométrie variable avec une approche fédérale et une composante économique ouverte à la Turquie et l’Ukraine ainsi qu’aux pays du Maghreb. Entre décomposition et métamorphose, l’aventure européenne reste encore à inventer…

 

Entre pessimisme historique et atouts stratégiques : une France à réveiller

 

Et la France dans tout ça ? Pascal Lamy est convaincu qu’elle possède de nombreux atouts : première destination touristique du monde avec 83 millions de visiteurs en 2012, une image de marque mondiale incontournable dans le luxe et la gastronomie, des fleurons de l’industrie comme autant d’ambassadeurs économiques à travers la planète, un esprit de coopération poussé grâce aux pôles de compétitivité, de splendides ensembles architecturaux réalisés par des Français à l’étranger… La créativité, le style et le savoir-faire à la française seraient les garants d’un avenir économique radieux pour l’Hexagone.

 

De plus, au-delà de son appareil productif, la France est attractive comme territoire d’implantation ! De l’OCDE jusqu’aux investisseurs, l’ancien directeur général de l’OMC en atteste : les équipements et les infrastructures classent le pays au 5e rang mondial   et le système de santé vient renforcer l’attrait des entreprises étrangères pour le territoire français, afin d’améliorer le cadre de vie (donc la productivité) de leurs salariés. Et pourtant, il y a un problème… Un gros problème. Les Français !

 

Champions du monde du pessimisme alors que le pays aurait tous les atouts pour être un phare lumineux dans l’obscurité de la mondialisation, les Français seraient visiblement le problème de la France. Cette France qui se fait des idées, qui rêve d’un passé qu’elle sublime… Et c’est là que livre commence à tourner un peu en rond. Car selon l’auteur, le récit mobilisateur pour la France serait celui d’une construction européenne permettant de maîtriser la mondialisation. Cette même construction européenne qui a perdu son sens, cette même mondialisation qui part dans tous les sens. On s’y perd un peu.