Dans les pas de Kafka et d'Edward Bond, Les chaussettes rouges convoquent une dystopie déjantée, métaphore de l'état d'urgence sécuritaire que nous vivons.
Le pitch de cette pièce semblera déjanté, voire tiré par les cheveux : dans un État autoritaire dirigé par « le Grand Slip », les citoyens n'ont le droit de porter qu'un slip blanc, afin de montrer à tous qu'ils n'ont rien à cacher. Aussi, lorsque dans une laverie un policier trouve une chaussette rouge glissée dans son linge, une mécanique implacable s'enclenche, tout le monde devenant suspect.
Les dystopies, nombreuses au cinéma et dans la littérature pour jeunesse, sont plus rares au théâtre, à part peut-être dans l'œuvre d'Edward Bond. Il y a de lui ici, comme un écho de Chaises ou Si ce n'est toi : la méfiance érigée en système, la place clé jouée par la délation, l'humour grinçant, la violence toujours sous-jacente, qui explose soudainement dans un coup ou une insulte. En quelques minutes, l'auteur et metteur en scène Sébastien Novac parvient à construire un univers délirant mais fort cohérent et très soigné. Et ce ci jusque dans les plus petits détails des annonces du Grand Slip ou dans le rôle joué par la peinture : dans ce monde où tous vont presque nus, les métiers, mais aussi les délits, s'affichent sur la peau sous la forme de lignes et de taches de peinture indélébile – la fabrication de savon est proscrite.
Les chaussettes rouges évoquent aussi le Kafka de La Colonie pénitentiaire : ici aussi, le pouvoir s'inscrit directement sur la peau des sujets. A l'heure où la chaleur estivale pousse à faire tomber les chemises, voire les maillots, il est bon de rappeler que les corps ont leur propre langage, qu'ils contribuent à nous situer dans des hiérarchies sociales et des structures politiques. En tirant des billes de peinture, les policiers qui manient des fusils de paint-ball ne font qu’exhiber cette donnée fondamentale, les taches de couleur permettant une hiérarchisation des citoyens : le bleu punit un délit mineur, le rouge un crime grave, et les « taches noires » doivent être tuées à vues par n'importe qui.
Comment ne pas y voir une critique assez fine de la sociologie policière qui inspire les contrôles au faciès, et plus généralement, de la discrimination à l'apparence ? Dans tous les cas, la pièce, clairement engagée, s’en prend frontalement à la violence policière, s'inscrivant ainsi dans une actualité brûlante. Plus généralement, le texte qui file la métaphore de la lumière – on se souhaite une « claire journée » ou on s'insulte en se traitant de « sombre traître » – caricature évidemment la dérive sécuritaire actuelle : faut-il tout savoir de tout le monde pour être à l'abri de tous ? Où poser les limites ?
Drôle, énergique, la pièce souffre d'une mise en scène qui évoque de manière un peu brouillone l’agitation frénétique et inutile de nos sociétés sécuritaires – bien que tout se passe dans la même laverie, la place des machine est inversée lors des transitions. Elle pâtit aussi de performances très inégales parmi les comédiens, qui ont le désagréable réflexe de crier lorsqu’ils se donnent la réplique. Mais l’essentiel est ailleurs. Autrefois, Coluche demandais : « jusqu'où s'arrêteront-ils ? » Avec Les chaussettes rouges, Sébastien Novac propose un texte perspicace, qui pourrait l'être encore plus tant il recèle de richesses, et qui continue à poser la question.
Les chaussettes rouges
De et par Sébastien Novac
A la Petite Caserne, du 7 au 30 juillet, à 13h45
Pour plus d’informations, cliquer ICI
Théâtre
AVIGNON-Off – « Les chaussettes rouges » de Sébastien Novac
- Publication • 19 juillet 2016
- Lecture • 4 minutes
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