Une magnifique adaptation d'un roman de Wajdi Mouawad. Sur fond de souvenir de la guerre du Liban : la mort, l'oubli, l'espoir.
Au cœur des déchirures du monde contemporain, les textes de Wajdi Mouawad mettent le doigt sur le nerf . Julien Bleitrach propose ici une très belle adaptation de l'un de ses romans, Un obus dans le cœur – la version pour jeune public d'Un visage retrouvé – qui rend pleinement justice à la beauté et à la force du texte. Wahab, jeune libanais exilé au Québec, se rend en pleine nuit à l'hôpital, où sa mère agonise. En chemin, il parle, s'énerve, pleure, se souvient : le Liban, la guerre, l'exil, sa famille, sa peinture. Et, surtout, le grand traumatisme : à l'âge de quatorze ans, sa mère a soudainement « changé de visage ». Comment vivre lorsqu'on ne reconnaît plus le visage de sa mère ? Comment dire adieu à cette femme étrangère ?
À partir de ce canevas, Julien Bleitrach propose un magnifique monologue, servi par une performance bouleversante – et bouleversée : les larmes qui brillent dans ses yeux au moment des saluts ne sont pas feintes. Alliant une grande économie de moyen avec un jeu aussi fin que précis – on appréciera en particulier sa diction impeccable, servant à la perfection les longues métaphores de Mouawad – le comédien est tour à tour drôle, touchant, émouvant. Surtout, il se confond toujours impeccablement avec le personnage auquel il confie sans réserve son corps, sa voix et ses gestes . La mise en scène, sobre, met efficace en valeur son travail, notamment l'éclairage qui permet de glisser sans heurt d'un temps à l'autre – entre celui des souvenirs et le déroulé de l'histoire – et d'un espace à l'autre – la rue, le bus, le couloir de l'hôpital, la chambre. La pièce culmine dans un climax qui prend aux tripes sans jamais renoncer à parler aux têtes.
Cette pièce s'inscrit au cœur d'un motif cher à Mouawad : l'oubli. Oubli de l'histoire familiale (Incendies), du pays natal (Littoral), des rêves de l'enfance (Assoiffés), de la langue natale (Seuls). L'oubli se conjugue ici sur un mode psychiatrique : sans trop en dire, on peut simplement noter que Wahab a été confronté à un terrible traumatisme pendant la guerre du Liban, qu'il a ensuite transféré sur le visage de sa mère. La confrontation avec cette mère mourante, puis morte, sera l'occasion d'affronter ses souvenirs et les peurs de son enfance, pour guérir les blessures d'hier. La pièce délivre dès lors un magnifique message de courage et d'espoir, qui résonne particulièrement avec l'actualité toute récente : contre la tentation du refoulement, il s'agit plus que jamais d'affronter nos souvenirs pour libérer un avenir commun
Un obus dans le cœur
D’après un roman de Wajdi Mouawad
Mise en scène : Julien Bleitrach, Jean-Baptiste Epiard
Au Théâtre des 3 Soleils, du 7 au 30 juillet à 10h35
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