La loi travail divise les économistes qui se sont empressés, ces dernières semaines, de lui manifester leur soutien, pour les uns, ou de dire tout le mal qu’ils en pensaient, pour les autres. On peut essayer de résumer les arguments échangés. 

 

 

Flexibilité du marché du travail

Leur opposition se focalise sur la flexibilité du marché du travail (dont la protection de l’emploi) et ses effets supposés sur l’emploi.

Pour les premiers, qui ont apporté leur soutien au projet de loi, l’insuffisance de flexibilité du marché du travail dans notre pays, qui tient à la fois, expliquent-ils, à une protection excessive de certains emplois, aux rigidités salariales et à l’inadéquation de notre système éducatif et à l’inefficacité des dispositifs de formation professionnelle, pénalise les emplois, et tout particulièrement les emplois des jeunes et des moins qualifiés (François Bourguiguon :  « La loi travail ou la difficulté de réformer »).

Les seconds, leur contestent ces points et en particulier la possibilité d’obtenir une amélioration de la situation de l’emploi en diminuant la protection des CDI ou encore en favorisant la flexibilité des salaires, alors que les deux groupes se rejoignent sur la nécessité de mieux former les chômeurs et les salariés peu qualifiés. Les seconds mettent particulièrement en avant la faiblesse de la croissance, où ils voient la conséquence de la tentative de réduire beaucoup trop vite le déficit budgétaire, pour écarter de telles mesures qui ne pourraient qu’amener, selon eux, les entreprises à licencier davantage dans la situation actuelle. Tandis que les premiers se satisfont d’un effet positif, décalé dans le temps, qui ne devrait se concrétiser qu’une fois la reprise engagée.

Mais les seconds sont également plus enclins à vouloir considérer ensemble le niveau de flexibilité du marché du travail et le niveau de sécurité qu’il offre par ailleurs à ceux qui perdent leur emploi (Daniel Cohen :  « On ne change pas le marché du travail par décret »).Tandis que les premiers ont pu donner l’impression de se satisfaire avant tout de prendre en compte la situation de ceux qui n’ont pas accès à l’emploi ou un accès très difficile à travers des emplois précaires (Philippe Aghion: « Cette réforme est une avancée pour les plus fragiles »). Même si les deux groupes se retrouvent sur la nécessité d’améliorer les garanties de revenus pour les chômeurs en formation et à la recherche d’un emploi.

 

Modèles théoriques

Au regard des mesures contenues dans le projet de loi, la discussion entre eux concernant la protection de l’emploi s’est d’abord focalisée sur la protection des contrats à durée indéterminée. Les économistes qui soutenaient la loi ont ainsi dit tout le bien qu’ils pensaient des mesures qu’elle contenait visant à faciliter les licenciements et à abaisser le niveau des indemnités auxquelles ces salariés pouvaient prétendre en cas de licenciement non fondé, expliquant que celles-ci permettraient de lever les préventions que pouvaient avoir les employeurs à embaucher en CDI. Leurs opposants ont toutefois violemment contesté ce point (Philippe Askenazy : « La « loi travail » ne réduira pas le chômage »).

Au-delà des modèles théoriques que peuvent mobiliser les uns et les autres à l’appui de leur démonstration, le moyen de trancher cette question consiste à se tourner vers les vérifications empiriques. Ce qui est d’autant plus nécessaire que les effets d’une diminution de la protection des emplois sont a priori ambigus, puisque susceptibles d’entraîner à la fois une augmentation des créations d’emplois et une augmentation de leurs destructions. Malheureusement, les résultats qu’offrent ces vérifications sont mitigés et ne permettent pas véritablement de départager les protagonistes.

 

Validations empiriques

Un premier type d’études exploitent les différences économiques et institutionnelles entre pays. Elles ne permettent pas de neutraliser les autres effets que ceux liés au niveau de protection de l’emploi, qui sont susceptibles d’expliquer un niveau d’emploi plus élevé. Certains donnaient ainsi l’exemple de l’Espagne qui a adopté une loi contenant des mesures similaires et qui a enregistré peu de temps après une nette augmentation de ses CDI, avant d’être vivement contredits par un groupe d’économistes espagnols (Jospeh Borrel : « Comme en Espagne, la « loi travail » est vouée à l’échec »). Une note récente du Conseil d’analyse économique conclut que l’impact de la protection de l’emploi sur le chômage ne peut être clairement mis en évidence à partir ce premier type de travaux   .

D’autres études exploitent des modifications de la réglementation de la protection de l’emploi ciblant plus particulièrement une région, un groupe démographique ou un type d’entreprise. Et, selon la note citée ci-dessus, l’essentiel de ces travaux conclut alors à un impact négatif d’une plus grande protection de l’emploi sur l’emploi du groupe test (même si l’impact semble faible), sans qu’on puisse rien en conclure toutefois de son effet sur le taux de chômage dans la mesure où le taux de participation au marché du travail ne peut pas être contrôlé dans ces travaux.

Les seconds font toutefois de ces travaux une lecture encore plus restrictive puisqu’ils en concluent qu’ils ne livrent pas de preuve convaincante d’une relation entre la protection de l’emploi et le chômage et a fortiori d’un effet significatif des coûts de licenciements sur celui-ci. Selon eux, les études montrant un effet positif sont très rares, les deux plus solides concernent pour l’une les Etats-Unis et pour l’autre l'Amérique Latine   , et il n’est pas évident qu’on puisse en extrapoler les résultats au marché du travail français. Mais même en ce cas, les effets attendus en France seraient extrêmement faibles.

 

Segmentation du marché du travail

Mais ils formulent également une autre objection de poids, qui concerne cette fois la segmentation du marché du travail. Les CDD, observent-ils, concernent principalement des courtes durées (70% des embauches en CDD se font pour moins d’un mois) et il paraît peu probable dans ces conditions que les mesures prises pour alléger le coût des CDI puissent suffire à convaincre les employeurs de leur substituer des contrats longs.

Ils en concluent que la lutte contre la précarité devrait prendre d’autres formes, comme l’installation d’un système de bonus-malus visant à pénaliser les entreprises qui abusent des CDD et du turnover (une préconisation que peuvent partager des économistes du premier groupe, mais comme le moyen de financer des indemnités plus importantes en contrepartie d’un assouplissement des licenciements), mais également un durcissement des possibilités de recours au CDD.

 

Qualité des emplois et du dialogue social

Mais ils préconisent alors surtout de favoriser la qualité des emplois, parce qu’elle conditionne celle des produits, ainsi que le renforcement d’un dialogue social, qui ne fasse toutefois abstraction ni des conflits d’intérêts ni des rapports de force, et la cohésion sociale (Eric Heyer : « Une autre voie pour le travail »).

Au total, l’opposition entre eux est donc forte. Ce qui renvoie tout un chacun à ses convictions ou à l’avis qu’il pourra se former en prenant en compte d’autres discours, relevant d’autres logiques, juridique(s) ou politiques(s) en particulier.

 

 

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